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Extrait

D’or jadis, aujourd’hui hérissé d’épines et encombré de buissons
 

Poggio Bracciolini, Les ruines de Rome, 1432-1435

Il y a quelque temps, comme le pape Martin V, peu avant sa mort, s’était retiré, pour raison de santé, dans son domaine de Tusculum, et que nous étions donc libres de toute charge et de tout souci officiel, nous venions souvent contempler, l’illustre Antonio Loschi et moi-même, les solitudes de la Ville, et devant l’ancienne grandeur des monuments effondrés et l'immensité des ruines de la cité antique, devant l’ampleur de la chute d’un tel empire, nous admirions du fond de l’âme la stupéfiante et affligeante inconstance de la fortune. Un jour que nous avions gravi les pentes de la colline du Capitole et qu’Antonio, fatigué de chevaucher, aspirait, comme moi, à se reposer, nous descendîmes de cheval et nous assîmes sur les ruines même de la citadelle tarpéienne, derrière ce qui me parut être l’énorme seuil de marbre de la porte d’un temple, parmi les colonnes brisées, répandues en grand nombre alentour, en un lieu d’où s’ouvre une large perspective sur la Ville. Antonio, après avoir promené un moment, çà et là, ses regards, soupira et, comme stupéfait, dit alors : « Quelle distance, Poggio, entre ce Capitole et celui que chanta notre Virgile, ‘D’or aujourd’hui, jadis hérissé de buissons sauvages’. Ce vers, on pourrait à bon droit le retourner ainsi : ‘d’or jadis, aujourd’hui hérissé d’épines et encombré de buissons’. »

Poggio Bracciolini, Les ruines de Rome, 1432-1435
Édition avec traduction française : Poggio Bracciolini, Les ruines de Rome (De varietate Fortunae), éd. et trad. J.-Y. Boriaud, Paris, Les Belles Lettres, 1999.
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