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Extrait

Définir la femme dans l'Encyclopédie

Desmahis, « Femme (morale) », Encyclopédie, 1751-1765
L'Encyclopédie dont les 160 auteurs sont tous des hommes — consacre quatre articles à la femme, vue sous l'angle anthropologique, juridique (droit naturel et jurisprudence) et moral. Les opinions sont parfois contradictoires entre chacun. Si certains attribuent à un défaut d'éducation et à de simples conventions juridiques la supériorité de l'homme sur la femme, celui sur la morale fait de la distinction entre homme et femme un principe aussi social que naturel.

Cette moitié du genre humain, comparée physiquement à l’autre, lui est supérieure en agréments, inférieure en force. La rondeur des formes, la finesse des traits, l’éclat du teint, voilà ses attributs distinctifs.

Les femmes ne diffèrent pas moins des hommes par le cœur et par l’esprit, que par la taille et par la figure ; mais l’éducation a modifié leurs dispositions naturelles en tant de manières, la dissimulation qui semble être pour elles un devoir d’État, a rendu leur âme si secrète, les exceptions sont en si grand nombre, si confondues avec les généralités, que plus on fait d’observations, moins on trouve de résultats.

Il en est de l’âme des femmes comme de leur beauté ; il semble qu’elles ne fassent apercevoir que pour laisser imaginer. Il en est des caractères en général, comme des couleurs ; il y en a de primitives, il y en a de changeantes ; il y a des nuances à l’infini, pour passer de l’une à l’autre. Les femmes n’ont guère que des caractères mixtes, intermédiaires ou variables ; soit que l’éducation altère plus leur naturel que le nôtre ; soit que la délicatesse de leur organisation fasse de leur âme une glace qui reçoit tous les objets, les rend vivement, et n’en conserve aucun.

Qui peut définir les femmes ? Tout à la vérité parle en elles, mais un langage équivoque. Celle qui paraît la plus indifférente, est quelquefois la plus sensible ; la plus indiscrète passe souvent pour la plus fausse : toujours prévenus, l’amour ou le dépit dicte les jugements que nous en portons ; et l’esprit le plus libre, celui qui les a le mieux étudiées, en croyant résoudre des problèmes, ne fait qu’en proposer de nouveaux. Il y a trois choses, disait un bel esprit, que j’ai toujours beaucoup aimées sans jamais y rien comprendre : la peinture, la musique, et les femmes.

S’il est vrai que de la faiblesse naît la timidité, de la timidité la finesse, et de la finesse la fausseté, il faut conclure que la vérité est une vertu bien estimable dans les femmes.

Si cette même délicatesse d’organes qui rend l’imagination des femmes plus vive, rend leur esprit moins capable d’attention, on peut dire qu’elles aperçoivent plus vite, peuvent voir aussi bien, regardent moins longtemps.

Que j’admire les femmes vertueuses, si elles sont aussi fermes dans la vertu, que les femmes vicieuses me paraissent intrépides dans le vice !

La jeunesse des femmes est plus courte et plus brillante que celle des hommes ; leur vieillesse est plus fâcheuse et plus longue.

Les femmes sont vindicatives. La vengeance qui est l’acte d’une puissance momentanée, est une preuve de faiblesse. Les plus faibles et les plus timides doivent être cruelles : c’est la loi générale de la nature, qui dans tous les êtres sensibles proportionne le ressentiment au danger.

Comment seraient-elles discrètes ? Elles sont curieuses ; et comment ne seraient-elles pas curieuses ? On leur fait mystère de tout : elles ne sont appelées ni au conseil, ni à l’exécution.

Il y a moins d’union entre les femmes qu’entre les hommes, parce qu’elles n’ont qu’un objet.

Distingués par des inégalités, les deux sexes ont des avantages presque égaux. La nature a mis d’un côté la force et la majesté, le courage et la raison ; de l’autre, les grâces et la beauté, la finesse et le sentiment. Ces avantages ne sont pas toujours incompatibles ; ce sont quelquefois des attributs différents qui se servent de contrepoids, ce sont quelquefois les mêmes qualités, mais dans un degré différent. Ce qui est agrément ou vertu dans un sexe, est défaut ou difformité dans l’autre. Les différences de la nature devaient en mettre dans l’éducation ; c’est la main du statuaire qui pouvait donner tant de prix à un morceau d’argile.

Pour les hommes qui partagent entre eux les emplois de la vie civile, l’état auquel ils sont destinés décide l’éducation et la différencie. Pour les femmes, l’éducation est d’autant plus mauvaise qu’elle est plus générale, et d’autant plus négligée qu’elle est plus utile. On doit être surpris que des âmes si incultes puissent produire tant de vertus, et qu’il n’y germe pas plus de vices.

[...]

La nature semble avoir conféré aux hommes le droit de gouverner. Les femmes ont eu recours à l’art pour s’affranchir. Les deux sexes ont abusé réciproquement de leurs avantages, de la force et de la beauté, ces deux moyens de faire des malheureux. Les hommes ont augmenté leur puissance naturelle par les lois qu’ils ont dictées ; les femmes ont augmenté le prix de leur possession par la difficulté de l’obtenir. Il ne serait pas difficile de dire de quel côté est aujourd’hui la servitude. Quoi qu’il en soit, l’autorité est le but où tendent les femmes : l’amour qu’elles donnent les y conduit ; celui qu’elles prennent les en éloigne ; tâcher d’en inspirer, s’efforcer de n’en point sentir, ou de cacher du moins celui qu’elles sentent : voilà toute leur politique et toute leur morale.

Cet art de plaire, ce désir de plaire à tous, cette envie de plaire plus qu’une autre, ce silence du cœur, ce dérèglement de l’esprit, ce mensonge continuel appelé coquetterie, semble être dans les femmes un caractère primitif, qui, né de leur condition naturellement subordonnée, injustement servile, étendu, et fortifié par l’éducation, ne peut être affaibli que par un effort de raison, et détruit que par une grande chaleur de sentiment : on a même comparé ce caractère au feu sacré qui ne s’éteint jamais.

[...]

Il est une femme qui a de l’esprit pour se faire aimer, non pour se faire craindre, de la vertu pour se faire estimer, non pour mépriser les autres ; assez de beauté pour donner du prix à sa vertu. Également éloignée de la honte d’aimer sans retenue, du tourment de n’oser aimer, et de l’ennui de vivre sans amour, elle a tant d’indulgence pour les faiblesses de son sexe, que la femme la plus galante lui pardonne d’être fidèle ; elle a tant de respect pour les bienséances, que la plus prude lui pardonne d’être tendre. Laissant aux folles dont elle est entourée, la coquetterie, la frivolité, les caprices, les jalousies, toutes ces petites passions, toutes ces bagatelles qui rendent leur vie nulle ou contentieuse ; au milieu de ces commerces contagieux, elle consulte toujours son cœur qui est pur, et sa raison qui est saine, préférablement à l’opinion, cette reine du monde, qui gouverne si despotiquement les insensés et les sots. Heureuse la femme qui possède ces avantages, plus heureux celui qui possède le cœur d’une telle femme !

Enfin il en est une autre plus solidement heureuse encore ; son bonheur est d’ignorer ce que le monde appelle les plaisirs, sa gloire est de vivre ignorée. Renfermée dans les devoirs de femme et de mère, elle consacre ses jours à la pratique des vertus obscures : occupée du gouvernement de sa famille, elle règne sur son mari par la complaisance, sur ses enfants par la douceur, sur ses domestiques par la bonté : sa maison est la demeure des sentiments religieux, de la piété filiale, de l’amour conjugal, de la tendresse maternelle, de l’ordre, de la paix intérieure, du doux sommeil, et de la santé : économe et sédentaire, elle en écarte les passions et les besoins ; l’indigent qui se présente à sa porte, n’en est jamais repoussé ; l’homme licencieux ne s’y présente point. Elle a un caractère de réserve et de dignité qui la fait respecter, d’indulgence et de sensibilité qui la fait aimer, de prudence et de fermeté qui la fait craindre ; elle répand autour d’elle une douce chaleur, une lumière pure qui éclaire et vivifie tout ce qui l’environne. Est-ce la nature qui l’a placée, ou la raison qui l’a conduite au rang suprême où je la vois ?

Joseph François Edouard de Corsembleu de Desmahis, « Femme (morale) », Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, vol. 6, Paris : Briasson, David, Le Breton, Durand, 1751-1765, p. 472-473
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