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Extrait

Sidoine Apollinaire au cirque, un récit vivant et intense

Sidoine Apollinaire, Poésies, Carmen 23, 331-415

Les coursiers frémissent devant les barrières, et tous à la fois se pressent contre elles ; la fumée qui s’exhale de leurs corps se répand dans le cirque, et leur souffle impatient va remplir, avant l’heure, la carrière qu’ils ne touchent point encore. Ils s’agitent ; trépignent, avancent, reculent, frissonnent, bondissent, craignent, et inspirent la crainte ; ils ne peuvent maîtriser leur ardeur, et, d’un pied inquiet, frappent le poteau qui les retient.

Enfin le son de la trompette retentissante appelle les quadriges impatients, et déjà les chars roulent dans l’arène. La foudre impétueuse, la flèche lancée par le Scythe, le sillon que forme un astre en sa chute, la balle agitée dans une fronde par un archer des îles Baléares, ne traversent point les plaines de l’air avec autant de rapidité. Les roues sillonnent le cirque, la poussière s’élève et obscurcit les cieux. Tous à la fois les conducteurs des chars, la poitrine penchée en avant, et jetés, pour ainsi dire, hors de leurs sièges, pressent à coups redoublés leurs coursiers et les frappent au-delà des flancs ; on ne peut distinguer bientôt s’ils sont portés par les timons ou par les chars.

Déjà, vous dérobant en quelque sorte aux regards, vous aviez franchi la partie du cirque la plus large ; déjà vous aviez atteint l’endroit où l’art en a rétréci l’espace, qui est divisé en deux portions par un mur, et entouré d’un euripe. Dès que tous les concurrents ont passé la dernière borne, ton collègue devance tes deux rivaux, qui eux-mêmes t’avaient devancé, et tu te trouves ainsi le quatrième. Ceux qui sont au milieu mettent tous leurs soins à ce que le premier, en se jetant vers la droite, et en laissant un passage à gauche, tandis qu’il se porte du côté des spectateurs, soit dépassé par un char dirigé entre la borne et lui. À la vue des efforts qu’ils font, tu redoubles d’espérance, et, retenant tes coursiers, tu as l’art de te ménager pour le septième tour. Tes rivaux s’épuisent en mouvements et en cris ; guides et coursiers arrosent la terre de leur sueur, le bruit confus des applaudissements va remuer toutes les âmes ; on est brûlant sous l’ardeur de la course, et l’on frissonne sous les impressions de la crainte. C’est ainsi que s’achèvent le premier, le second, le troisième, le quatrième tour ; au cinquième, celui qui jusque-là était près d’obtenir la palme, ne pouvant plus supporter le poids de ceux qui le suivent, laisse un peu détourner les roues de son char, parce qu’il sent ses coursiers épuisés pour avoir été d’abord trop hâtés. Le sixième tour est achevé déjà ; déjà le peuple décerne le prix ; ton adversaire, voyant l’avantage qu’il a sur toi, commence à ne plus craindre tes efforts et poursuit sa course sans inquiétude ; mais une ardeur nouvelle te saisit tout à coup, et, les rênes appuyées contre ton sein, la poitrine tendue, le pied fixé en avant, tu presses tes coursiers rapides avec autant de vélocité que ce conducteur de chars, qui, dans Pise tremblante, conduisait Œnomaüs.

Un de tes concurrents serre de près la borne pour abréger sa course, tu parviens à le pousser adroitement, et son char, une fois emporté, ne peut se replier au bout de la carrière, il t’avait devancé sans art, et c’est en restant habilement en arrière que tu le dépassas. Un autre, ébloui par les applaudissements, se laisse emporter trop vite hors de la voie ; il prend une direction oblique, et s’amuse trop tard à exciter l’ardeur de ses coursiers ; pendant qu’il se rejette ainsi de côté, tu le devances, en ne t’éloignant pas. Un troisième rival, par lequel tu es atteint et qui se promet de te dépasser, heurte imprudemment ton char ; les coursiers s’abattent, leurs jambes s’embarrassent dans les roues, les douze rayons se resserrent, se remplissent, et le char, en fuyant, brise les pieds des chevaux ; lui-même, renversé, tombe de son siège, et, le visage tout couvert de sang, il vient accroître ces malheureux débris.

J.-F. Grégoire et F.-Z. Collombet (trad.), Oeuvres de C. Sollius Appollinaris Sidonius, traduites en français, avec le texte en regard et des notes, Lyon : M.-P. Rusand, 1836. En ligne sur http://remacle.org/bloodwolf/historiens/sidoine/poesies23.htm
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