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Extrait

Isabelle Havelange, « Un certain Monsieur Berquin, ami des enfants »

Isabelle Havelange
D’après Le Magasin pour enfants, la littérature pour la jeunesse (1750-1830), Bibliothèque Robert Desnos, Montreuil, 1988

Un pionnier
C'est à la fois le succès de L'Ami des enfants et le principe tout nouveau des livraisons périodiques pour enfants qui place Berquin au rang des auteurs pionniers de la littérature de jeunesse. Il naît le 25 septembre 1747 à Bordeaux, dans une famille de négociants aisés. Élevé d'abord par un prêtre, ami de sa famille, il poursuit ses études chez les Jésuites.
En 1770 ou 1772, il quitte Bordeaux pour tenter sa chance à Paris, et commence rapidement à publier des poésies élégiaques et collabore dans le même temps à l'Almanach des muses. En 1776, il prend contact avec des libraires allemands et se fait envoyer des ouvrages qui seront décisifs dans l'évolution littéraire de Berquin : L'Ami des enfants (Der Kinderfreund) de C.-F. Weisse notamment.
Familier de la famille de Charles-Joseph Panckoucke (1736-1798), il devient le précepteur des enfants du célèbre éditeur-libraire parisien. La reconversion littéraire qu'il fait, passant de la poésie élégiaque à des œuvres pour la jeunesse, n'est sûrement pas étrangère à son rôle éducatif. En 1777 paraissent les Lectures pour les enfants au choix de petits contes. A cette époque, les deux petites filles à sa charge ont trois et sept ans, ce qui correspond aux âges auxquels sont destinées les Lectures. Il aurait en quelque sorte accompagné le développement des fillettes par la publication ensuite de L'Ami des enfants (1782-1783) puis de L'Ami de l'adolescence (1784-1785), suite d'historiettes dont il introduit le genre en France et qui connaîtront le succès jusqu'à la fin du XIXe siècle.

L'Ami des enfants : une idée
Berquin pourtant n'est pas auteur original. Il emprunte la plupart de ses sujets à l'étranger. Dans le cas de L'Ami des enfants, il trouve non seulement l'idée, mais aussi une grande partie du contenu dans Der Kinderfreund de Weisse. Avec le titre, Berquin semble, en quelque sorte, avoir pris le relais de l'auteur allemand. S'il n'a pas, comme Weisse, utilisé une famille et ses amis comme cadre de l'histoire, la matière littéraire empruntée est cependant considérable (14 pièces sur 21). Berquin a d'ailleurs également puisé chez Campe (une pièce) et chez Salzmann (une pièce). A cette époque, c'était monnaie courante que de faire des emprunts les uns aux autres. Contrairement à l'idée que l'on se fait aujourd'hui du plagiat, les auteurs mentionnaient alors souvent leurs sources. Ainsi fait Berquin, tantôt donnant le nom des auteurs, tantôt utilisant des expressions telles que « traduction libre de l'allemand », « imité de l'anglais », etc. Il est à son tour abondamment traduit et imité.
Berquin, non seulement diffuse en France le genre des historiettes, mais il le fait par un mode de publication inusité dans la littérature enfantine : les livraisons périodiques. L'Ami des enfants est publié sous forme de mensuel. Les lecteurs souscrivent un abonnement. Les volumes leur sont envoyés tous les mois. Le succès de la publication est considérable.

Un auteur polygraphe
À la fin de l'année 1783, Berquin tombe malade. Son état de santé l'oblige à s'arrêter quelque temps. Cette interruption momentanée lui vaut un très nombreux courrier d'enfants et de mères déçus de ne plus voir paraître leur mensuel. En janvier 1784, il publie dans le Mercure de France une lettre à leur intention, où il annonce la parution prochaine de L'Ami de l'adolescence qui « aura pour objet d'éclairer l'esprit de la jeunesse, en lui donnant des idées justes de tout ce qui la frappe dans la nature et dans la société ».
À partir de 1789, Berquin sort du domaine de la littérature enfantine pour collaborer à la Gazette nationale ou Moniteur universel, journal nouvellement créé par Panckoucke, donnant priorité aux nouvelles politiques sur les nouvelles littéraires. En 1789 également, Berquin commence à publier la Bibliothèque des villages puis, en 1790, avec Guingené et Grouvelle, La Feuille villa­geoise. Ces deux dernières paraissent également par souscription. Leur but est d'éclairer « la partie la plus délaissée de la nation, la population des campagnes », de les instruire de leurs droits et de leur faire connaître les lois, événements ou découvertes récentes.
En 1791, Berquin publie également Le Livre de famille ou Journal des enfants. Cette même année, au moment où se pose le problème de l'éducation du Dauphin selon les nou­velles lois, Berquin est désigné par la section Saint-Joseph comme précepteur du Dauphin. Cette proposition, acceptée par toutes les sections de Paris, est refusée par Louis XVI, qui choisit un autre précepteur.
Proche des Girondins, Berquin est en train de préparer ses œuvres complètes quand il meurt, le 21 décembre 1791, ayant eu la chance de n'avoir pas eu à prendre parti et de mourir de mort natu­relle, avant de risquer l'échafaud des Girondins.

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