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Extrait

Les deux grenadiers

Heinrich Heine, Les deux grenadiers, 1816
Écrit en 1816, une année après la chute définitive de Napoléon, Les deux grenadiers illustre le dévouement touchant des soldats impériaux à leur chef. Le poème, mis en musique par la suite par Schumann, témoigne de la fascination qu'exerce le destin napoléonien sur la génération romantique, même dans des pays victimes des invasions françaises.

Vers la France s'acheminaient deux grenadiers de la garde ; ils avaient été longtemps retenus captifs en Russie. Et lorsqu'ils arrivèrent dans nos contrées d 'Alle-
magne, ils baissèrent douloureusement la tête.

Ici, ils venaient d'apprendre que la France avait succombé, que la vaillante et grande armée était taillée en pièces, et que lui, l'empereur, l'empereur était prisonnier.

A cette lamentable nouvelle, les deux grenadiers se mirent à pleurer. L'un dit :  « Combien je souffre ! mes vieilles blessures se rouvrent et ma fin s'approche ! »

Et l'autre dit : « Tout est fini ! — Et moi aussi je voudrais bien mourir. Mais j'ai là-bas femme et enfant qui périront sans moi. »

« Que m'importent femme et enfant ! J'ai bien d'autres soucis ! Qu'ils aillent mendier, s'ils ont faim ! — Lui, l'empereur, l'empereur est prisonnier !

« Camarade, écoute ma demande : Si je meurs ici, emporte mon corps avec toi, et ensevelis-moi dans la terre de France.

« La croix d'honneur avec son ruban rouge, tu me la placeras sur le cœur ; tu me mettras le fusil à la main, et tu me ceindras l'épée au côté.

« C'est ainsi que je veux rester dans ma tombe comme une sentinelle, et attendre jusqu'au jour où retentira le grondement du canon et le galop des chevaux.

« Alors l'empereur passera à cheval sur mon tombeau, an bruit des tambours et au cliquetis des sabres ; et moi, je sortirai tout armé du tombeau pour le défendre, lui, l'empereur, l'empereur ! »

Henri Heine, Poëmes et légendes, Paris : Calmann Lévy, 1886, p. 167-168.
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