Découvrir, comprendre, créer, partager

Extrait

Raymond Monet, gardien de bibliothèque

Pétrarque, Lettres Familières, XVI, 1, 4-6
Fidèle serviteur de Pétrarque, Raymond Monet est celui qui veille sur sa bibliothèque. Bien qu’illettré, il s’acquitte parfaitement du devoir de veiller sur les livres, qui lui procure un moyen d’élévation morale. Pétrarque évoque avec émotion la mémoire de son serviteur tout récemment disparu – cas presque unique, dans son œuvre, de représentation d’un homme du peuple, sous un jour d’ailleurs favorable. Bien qu’elle ne soit pas dénuée de paternalisme, cette vision idyllique du rapport des hommes aux livres et de la faculté qu’a la lecture de rendre les hommes à la fois « plus savants et plus heureux », correspond à une visée pédagogique et à un désir de perfectionnement de l’homme sensible dans les ouvrages de Pétrarque.
 

Mon fermier était certes un homme de la campagne, mais il avait plus de soin et de délicatesse qu’un homme des villes. Je pense que la terre n’a pas porté d’être plus fidèle que lui. […] Je lui avais donc confié ma personne entière et tous les livres que j’ai en France : bien que j’eusse une grande variété de volumes de tous genres et que certains qui étaient minuscules y fussent mêlés à de très grands, quand parfois je revenais après une absence de trois ans, je n’en trouvais jamais un qui fût dérobé ou même déplacé. Cet homme illettré était très épris des lettres, et les livres qu’il me savait les plus chers, il en prenait un soin encore plus minutieux : il était même parvenu à la longue à connaître par leurs noms les ouvrages des anciens et à reconnaître parmi eux mes modestes ouvrages. Il était tout joyeux quand il m’arrivait de lui mettre un ouvrage entre les mains et il soupirait en le serrant contre sa poitrine. Parfois il s’adressait à voix basse à l’auteur : chose étonnante à dire, rien qu’à toucher et à voir les livres il semblait devenir plus savant et plus heureux.

Pétrarque, Lettres Familières, éd. Franck La Brasca, Alain Segonds, tr. Angré Longpré, Paris : Les Belles Lettres, 2005, t. V, p. 30 (traduction légèrement modifiée).
  • Lien permanent
    ark:/12148/mmp2t63zq116r