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Le système politique vénitien

La lagune de Venise
La lagune de Venise

Bibliothèque nationale de France

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La République de Venise est certainement l’État le plus singulier de la péninsule italienne : elle fait partie des très rares États capables de préserver leur indépendance face aux troupes qui envahissent l’Italie à partir de 1494. Cela s’explique par la singularité du régime politique et la solidité des institutions vénitiennes, à l’origine d’un véritable mythe.

Le « mythe » vénitien

Les spécificités constitutives du mythe vénitien sont tout d’abord géographiques. La Sérénissime est née au 8e siècle dans cette lagune qui, au cours des siècles suivants, a constitué le cœur d’un vaste empire territorial et maritime. Celui-ci s’étend, pour la « Terre Ferme », du Frioul à Ravenne et de la Lombardie à l’Adriatique, et sur les mers, de Corfou à la Crète et à la mer Égée. En un quart de siècle, de 1404 à 1428, Venise conquiert l’essentiel de la partie orientale de la plaine du Pô, le Frioul et la région des Grands Lacs (dont les villes de Vérone et Padoue, puis Brescia et Bergame), contrant ainsi l’expansionnisme des ducs de Milan. Dans le même temps elle consolide ses positions dans l’Adriatique par la reconquête de la Dalmatie.

Venise : le Palais ducal (ou palais des Doges)
Venise : le Palais ducal (ou palais des Doges) |

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L’autre trait inhérent au mythe vénitien est sa constitution politique, gage de stabilité, de durée et d’indépendance. Georges de Trébizonde écrit en 1451 que les anciens Vénitiens ont modelé leur constitution sur l’idéal de la République de Platon ; les juristes y retrouvent l’équilibre vanté par Polybe dans les institutions romaines entre monarchie, aristocratie et démocratie. Enfin Gasparo Contarini, dans La République et le gouvernement de Venise (1544), renforce la vision idéale des institutions de la Sérénissime en la présentant comme l’État le plus proche de la perfection, puisqu’ayant su conserver sa liberté, à l’inverse de ses voisins péninsulaires… Cet équilibre des institutions, prétendument soutenu par l’aristocratie et le peuple réunis dans un sentiment patriotique et civique unique en Italie, explique en grande partie la fascination exercée par Venise.

La réalité des institutions vénitiennes

Au-delà de ces considérations souvent biaisées, les institutions vénitiennes reposent sur de grands principes non écrits comme l’absence de séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire, ou la condamnation des rivalités entre factions, impliquant la mise en place de mandats collégiaux, de courte durée et reconductibles, reposant sur le principe du tirage au sort.

La procession du Doge de Venise pour le dimanche des Rameaux
La procession du Doge de Venise pour le dimanche des Rameaux |

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Le régime vénitien s’incarne en la personne du doge, véritable prince républicain, élu à vie et placé au-dessus de toutes les factions. Coiffé du corno ducal, vêtu du manteau de pourpre et des chaussures rouges des empereurs byzantins, il porte le titre de « doge de Venise, de Croatie et de Dalmatie, seigneur du quart et demi de la Romanie ». Son pouvoir est symbolique : il accomplit le rite des « Épousailles de Venise et de la mer », le jour de l’Ascension, à bord du Bucentaure ; mais il est aussi politique, puisqu’il préside les différents conseils, en même temps que ceux-ci, et en particulier le Grand Conseil, limitent son action.

Solemnité du Bucentaure qui se célèbre à Venise
Solemnité du Bucentaure qui se célèbre à Venise |

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Les pouvoirs sont ensuite répartis entre six Conseils ou assemblées qui disposent de compétences inégales. Le Grand Conseil est composé de plus de 2000 membres héréditaires choisis au sein de 200 familles patriciennes (le « Livre d’Or »). Sa compétence est théoriquement universelle mais ses trop nombreux membres ont en réalité pour fonction principale d’élire en son sein les membres des conseils spécialisés.

Venise agenouillée devant Justice
Venise agenouillée devant Justice |

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Les neuf membres du Petit Conseil ou « Seigneurie » sont par exemple chargés, entre autres, des affaires diplomatiques. Les Pregadi, membres élus pour un an et rééligibles, composent le Sénat (soit 120 sénateurs désignés par le Grand Conseil, les membres de la Seigneurie, les Dix et les Quarantie) qui détient le pouvoir législatif et le pouvoir de décider de la paix et de la guerre, ainsi qu’un pouvoir décisionnel en matière de finances et de commerce. La Consulta rassemble trois collèges de Sages ou Savii (6 Grands Sages, 5 Sages de la Mer, 5 Sages de la Terre Ferme, tous élus par le Sénat) qui partagent l’exécutif avec la Seigneurie et forment avec celle-ci le Collège (Collegio). Les fonctions judiciaires sont assurées par les 40 membres des 3 Quarantie ou tribunaux d’appel. Enfin le Conseil des Dix est chargé des hautes affaires de police et de censure.

Le Rialto : épicentre du commerce à Venise
Le Rialto : épicentre du commerce à Venise |

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On le voit, les charges vénitiennes sont à la fois temporaires, électives, collégiales et surtout obligatoires (pour l’élite patricienne, très homogène !). Cette mesure en toute chose s’applique également au gouvernement des villes de la Terre Ferme, où les traditions locales sont respectées.

Malgré les guerres, une incroyable stabilité politique

Représentation symbolique du palais des Doges
Représentation symbolique du palais des Doges |

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Au 15e siècle, Venise se place sans conteste au premier rang des puissances italiennes voire européennes, grâce à son économie florissante, et ce malgré les difficultés rencontrées en Méditerranée orientale face à l’expansionnisme ottoman.
La période de la paix de Lodi (1454-1494) permet à la Sérénissime de se consacrer à la défense de son empire maritime et au maintien de sa prospérité. Mais les Guerres d’Italie marquent le début du repli vénitien de la scène internationale. Après l’épisode traumatique d’Agnadel (1509) marqué par la perte temporaire des territoires de Terre Ferme mais aussi par un sursaut patriotique sans précédent, Venise choisit de préserver son indépendance en observant une prudente neutralité jusqu’au traité de Cateau-Cambrésis… et ses institutions demeureront quasiment inchangées jusqu’à la conquête napoléonienne !