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Les nouvelles techniques bancaires

Le Prêteur et sa femme
Le Prêteur et sa femme

Photo © Musée du Louvre, Dist. RMN-Grand Palais / Angèle Dequier

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La période de croissance que connaît l’Europe occidentale à partir des 10e-11e siècles conduit à une augmentation des échanges et du commerce. Ce phénomène s’accompagne de la mise en place en Europe occidentale, notamment à partir des pratiques des marchands de la péninsule italienne, de techniques bancaires et commerciales nouvelles qui perdurent durant de nombreux siècles et s’appuient beaucoup sur la diffusion de l’écriture.

Gérer un commerce international : compagnies et lettres de change

La présence pérenne des compagnies de marchands-banquiers italiens dans les principales villes commerciales d’Europe et de Méditerranée est un fait marquant des époques médiévale et moderne. Le déploiement et le rayonnement de ces commerçants italiens a entraîné la diffusion de leurs techniques commerciales, qui ont peu à peu été utilisées par une partie des opérateurs de l’Europe occidentale.

La majeure partie des techniques bancaires et commerciales reposent sur l’utilisation du papier pour gérer les affaires. La multiplication des déplacements entre les différentes régions européennes et méditerranéennes conduit les marchands à ne pas s’encombrer de lourdes pièces mais à « déplacer » l’argent d’une place commerciale à l’autre par des lettres. Ces mouvements financiers reposant sur des papiers nécessitent une organisation spécifique : pour pouvoir circuler d’un lieu à l’autre, il faut de nombreux correspondants ou partenaires sur les places commerciales. Les plus célèbres organisations sont celles des Toscans, notamment celles mises en place par Francesco Datini ou les Médicis.

Le Parfait négociant
Le Parfait négociant |

Bibliothèque nationale de France  

Les lettres de change sont utilisées pour transférer des fonds, faire du crédit et payer les marchandises achetées à l’étranger. Ces lettres comportent des informations types qui renseignent sur la date d’émission de la lettre, le montant échangé entre deux villes, et donc le taux de change entre les deux monnaies utilisées, la date à laquelle le montant est du et le nom des marchands protagonistes. Généralement, ils sont quatre : le remettant, celui qui « remet » l’argent au tireur ; le tireur, celui qui envoie la lettre ; le tiré, celui qui reçoit la lettre et doit payer le bénéficiaire.

Quittance signée par Rabelais
Quittance signée par Rabelais |

Bibliothèque nationale de France

La lettre de change n’est pas la seule innovation des commerçants italiens. Les marchands délivrent aussi des lettres de crédit à des personnes souhaitant se déplacer, notamment pour les pèlerinages comme celui de Rome. Ainsi, si un ecclésiastique anglais désire se rendre à Rome, il verse de l’argent à un marchand italien installé à Londres (souvent florentin au 15e siècle), et il lui confie une lettre dans laquelle il écrit la somme que peut obtenir l’ecclésiastique. Sur le chemin le menant vers la capitale de la Chrétienté, il peut présenter la lettre aux différents correspondants du marchand qui lui verseront tout ou partie de la somme.

Retracer et surveiller les affaires : les registres comptables

Pour suivre le déroulé des affaires, les marchands mettent en place une gestion fondée sur la tenue de livres ou registres comptables. Ces derniers retracent et enregistrent les opérations financières et commerciales. Pour les derniers siècles du Moyen Âge et les débuts de l’époque moderne, les spécialistes disposent d’une quantité impressionnante de ces registres, qui leur permettent de retracer la vie économique de la Renaissance.
Ces registres prennent différentes formes, plus ou moins complexes. La plus simple consiste à inscrire une opération sur un feuillet et à la biffer lorsqu’elle est terminée. Une forme plus élaborée voit le jour à la fin du Moyen Âge : la comptabilité dite « en partie double ». Née au 14e siècle en Péninsule italienne, elle se perfectionne au 15e siècle, ce qui s’accompagne de la multiplication des écritures et des registres.

Registres commerciaux des archives Salviati
Registres commerciaux des archives Salviati |

Archivio storico dei Principi Salviati de la Scuola Normale Superiore di Pisa

La comptabilité en partie double implique en effet d’inscrire à de nombreuses reprises la même opération dans des registres différents. Les opérations quotidiennes, bancaires et marchandes sont enregistrées au jour le jour dans le « journal », le registre comptable. Celles-ci sont ensuite reportées dans les différents comptes d’un « grand livre », qui fait la synthèse de toutes les opérations.

Le grand livre est tenu en partie double, c’est-à-dire que chaque compte dispose d’une partie débit, sur la page de gauche, à laquelle répond sur le côté droit une partie crédit. Chaque entrée dans un compte – qui peut être personnel (une personne ou une compagnie) ou impersonnel (compte de marchandise ou de gestion de l’entreprise) – doit être enregistrée deux fois : une inscription du côté débit, l’autre du côté crédit. En effet, les grands livres doivent être équilibrés ce qui signifie que les sommes en débit de l’ensemble des comptes doivent être équivalentes à celles de la partie crédit, le bilan devant être égal à zéro.

Des manuels pour expliquer

Avec le perfectionnement de la méthode comptable et de ses difficultés, de nombreux manuels et traités de comptabilité sont diffusés pour aider les apprentis marchands mais aussi les plus aguerris. Le plus connu est celui élaboré à Venise par Luca Pacioli, célèbre franciscain spécialiste de mathématiques, et publié en 1494.

Luca Pacioli, Summa de arithmetica, geometria, proportioni et proportionalita... 
Luca Pacioli, Summa de arithmetica, geometria, proportioni et proportionalita...  |

Bibliothèque nationale de France

Portrait de Lucas Pacioli, dit aussi Démonstration mathématique
Portrait de Lucas Pacioli, dit aussi Démonstration mathématique |

Photo © SCALA, Florence, Dist. RMN-Grand Palais / image Scala

Dans son manuel, il explique la façon de tenir les différents registres en prenant des exemples qu’il emprunte à d’opérations dont il a été témoin en côtoyant notamment un marchand vénitien de l’île de la Giudecca. La multiplication des manuels à l’usage des marchands est aussi un aspect de cette « Renaissance économique ».

Toutes ces innovations ont profondément marqué les pratiques commerciales et financières jusqu’à aujourd’hui. Elles ont aussi laissé nombre de traces inestimables pour comprendre l’histoire des banques et des grands marchands et, au-delà, l’économie européenne d’une manière générale.

Fidélité doibt estre en marchandise mais trompe qui peut
Fidélité doibt estre en marchandise mais trompe qui peut |

Bibliothèque nationale de France