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La révolte de Cola di Rienzo

Vue de Rome
Vue de Rome

Bibliothèque nationale de France

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Le 21 mai 1347, Cola di Rienzo, notaire romain, est élu tribun du peuple de Rome. Se présentant comme un restaurateur de la république romaine, il cherche à mettre en place un gouvernement populaire mais échoue rapidement et finit tué en 1354. Sa révolte témoigne de la situation politique complexe d’une Rome abandonnée aux luttes de factions mais aussi du puissant renouveau de la culture antique au 14e siècle.

Un membre du popolo minuto envoyé en ambassade auprès du pape

La vie de Cola nous est connue par une chronique écrite en dialecte de Rome entre 1357 et 1360, par un auteur anonyme romain, l’Anonimo Romano, qui fut témoin des événements des années 1327-1357. Né à Rome en 1313, fils d’un tavernier et d’une lavandière, Cola di Rienzo appartient à l’une des nombreuses familles d’artisans qui forment le popolo minuto petit peuple ») de Rome au 14e siècle, prises dans les luttes de factions menées par les grandes familles romaines.

Cola di Rienzo ?
Cola di Rienzo ? |

Bibliothèque nationale de France

Au début des années 1330, il épouse la fille d’un notaire et se met à exercer cette profession, peut-être après avoir fréquenté une école de notariat à Rome. En 1342-1344, un voyage à Avignon, en tant que membre d’une délégation envoyée auprès de Clément VI par le gouvernement populaire de Rome, montre que Cola jouit déjà d’une grande réputation d’homme savant et de brillant orateur. L’ambassade a pour objectif de restaurer la grandeur de Rome, en persuadant la papauté, qui a élu domicile à Avignon depuis 1309, de regagner la Ville Éternelle, et de libérer celle-ci de l’emprise des barons. La ville est en effet, depuis le début du 13e siècle, aux mains de quelques grandes familles féodales qui en dominent les institutions politiques, parfois de manière brutale.
Malgré l’échec de la démarche, Cola est bien accueilli par Clément VI.

Son discours fut si remarquable et si beau que le pape Clément fut immédiatement séduit.

Chronique de l’Anonyme romain, 1357-1360

Le pape promet l’organisation pour 1350 d’un jubilé, célébration destinée à la rémission des péchés de toute personne faisant le pèlerinage à Rome, demandée avec force par les ambassadeurs. Il confère aussi à Cola la charge de notaire de la Chambre capitoline. À Avignon, celui-ci se lie d’amitié avec Pétrarque.

La résurrection de la commune de Rome et son échec

De retour à Rome, il devient l’un des principaux acteurs de la vie politique et met au point un programme réformateur, soutenu par les « classes productives », dont le but est de soumettre les barons, de rétablir la paix dans la ville comme dans sa campagne, et de restaurer l’administration d’une justice plus rapide et plus impartiale.

Soutenu initialement par le pape, il prend la tête du gouvernement populaire en mai 1347 pour mettre en pratique son programme. Le jour de la Pentecôte, au Capitole, il se fait élire tribun et « libérateur de la sacrée république romaine ». Surpris, le pape légalise le coup de force. Les nobles sont contraints à l'obéissance ou à l’exil, une milice est armée, l'approvisionnement de la ville est assuré.

Le pape Clément VI
Le pape Clément VI |

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Mais, très rapidement, Cola prétend rendre à sa ville son importance universelle : Rome est déclarée capitale du monde, et c’est au peuple romain qu’est dévolue l’élection impériale ; les Italiens sont citoyens romains et jouissent de la liberté romaine. La commune de Rome ressuscite, parée, dans l’esprit du tribun, de toutes les vertus de la République antique. En août 1347, lui-même « révèle » qu’il est une sorte de messie-empereur. Dès lors, il inquiète le pape qui craint de perdre le contrôle de ce personnage extravagant : Clément VI fait le choix d’appuyer le parti des Orsini et des Colonna.

Victorieux d’une révolte des barons, Cola di Rienzo s’aliène malgré tout, par des gestes arrogants et grandiloquents, une population éprouvée par la disette. Une émeute décide celui qui veut se faire élire empereur à déposer sa charge le 15 décembre 1347 et il s’enfuit de Rome. Suivent six années de pérégrinations difficiles à retracer en cette période où la Grande Peste décime l’Europe. Dans les Abruzzes, il trouve refuge chez les Fraticelles, l’une des branches des Franciscains, où il se convainc d’être un prophète. On le retrouve à Prague auprès de Charles IV, qu’il tente en vain de convaincre de se lancer dans un projet de restauration de l’empire universel hérité de l’Empire romain et de conquête de l’Italie. L’empereur le fait arrêter puis le livre à Clément VI, qui meurt avant d’avoir pu le châtier.

Blason de Cola di Rienzo
Blason de Cola di Rienzo |

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Grâce au nouveau pape Innocent VI, qui tente d’utiliser l’influence de Cola pour reprendre le contrôle de Rome, l’orateur fait un retour triomphal en août 1354 et se fait élire sénateur. Mais son talent ne sauve pas son action politique marquée par l’arbitraire et l’incohérence : le peuple voit désormais en lui un tyran (« alors le tribun commença à se faire haïr », lit-on chez l’Anonyme romain). Une rébellion fomentée par les Colonna précipite sa fin à l’automne 1354. Le Capitole est pris d’assaut par ses ennemis et mis à feu et à sang. Attrapé alors qu’il tente de s’enfuir, il est assassiné, son corps mutilé et brûlé le 8 octobre, trois jours après sa mort et ses cendres sont jetées dans le Tibre. Le cardinal Albornoz récupère tous les pouvoirs et entreprend de reconquérir la ville.

La culture humaniste au service de la politique

L’action politique de Cola di Rienzo est nourrie par une connaissance exceptionnelle de l’Antiquité romaine qui contribue à forger sa réputation et lui permet de jouer un rôle important dès 1342. Il avait aussi une bonne connaissance du droit romain, acquise sans doute dans le cadre de son métier. Ses lectures et ses talents d’épigraphiste ont forgé sa manière de percevoir la situation romaine : comme plusieurs de ses contemporains humanistes, il est convaincu de la décadence de Rome et de la nécessité de restaurer sa puissance.

Statuts des marchands de la ville de Rome, contresignés par Cola di Rienzo
Statuts des marchands de la ville de Rome, contresignés par Cola di Rienzo |

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Nicolo di Lorenzo, detto Cola di Renzo
(1313 - 1354) 
Nicolo di Lorenzo, detto Cola di Renzo
(1313 - 1354)  |

© München, Bayerische Staatsbibliothek

Maîtrisant aussi bien l’art de la composition épistolaire que l’art de la harangue, il sait discourir en latin devant le pape, en langue vernaculaire devant le peuple de Rome, et convaincre l’un comme l’autre. Sa parole est aussi relayée par des programmes iconographiques : il fait peindre une fresque allégorique sur la façade du Capitole donnant sur le marché, afin de mettre en image le triste sort d’une Rome exsangue du fait des conflits et déchue de sa grandeur passée. Il met en images dans le chœur de la basilique Saint-Jean-de-Latran le texte qu’il a exhumé de la Lex de imperio (loi gravée sur bronze, votée par le peuple romain en 69, attribuant l’ensemble des pouvoirs impériaux à Vespasien).

Cola di Rienzo incarne les valeurs morales et culturelles de la Rome antique. L’échec de sa révolte, sa fin dramatique sont étroitement liés au soutien inconstant des pontifes avignonnais, à l’hostilité des barons romains qu’il entend soumettre, mais aussi à ses propres excès qui ont fait croître son impopularité.