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Natalie Clifford Barney et Liane de Pougy

L'Amour des mots et des bijoux
Bracelet de cheville
Bracelet de cheville

© Les Arts Décoratifs

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Parmi l’élite intellectuelle de la Belle Époque, Robert de Montesquiou et Gabriele d’Annunzio côtoient l’écrivaine américaine Natalie Clifford Barney (1876-1972). Au cœur de son influent salon littéraire du 20 rue Jacob, entre 1909 et 1970, se croisent des personnalités du monde des arts et des lettres : Paul Valéry, Gertrude Stein, Anatole France ou encore Pierre Louÿs, son guide. Celle que Rémy de Gourmont (1858-1915) surnomme dans ses lettres « L’Amazone » est une femme de goût. Elle s’habille chez Lanvin, Patou ou Schiaparelli et aime les bijoux. Si elle a pour habitude de ne pas se parer à outrance, son coffre regorge pourtant de gemmes de valeurs qu’elle n’hésite pas à offrir.  
Portrait de Natalie Clifford Barney, femme de lettres, dit « L’Amazone »
Portrait de Natalie Clifford Barney, femme de lettres, dit « L’Amazone » |

© Paris Musées

À l’âge de vingt-trois ans, l’écrivaine s’éprend de l’une des femmes les plus en vue de la capitale : Liane de Pougy (1869-1950). Leur histoire, comme l’atteste leur correspondance, est passionnelle1 et inspire à la fameuse courtisane et danseuse la rédaction d’Idylle Saphique, un roman dédié à Natalie. Les deux femmes vivent intensément et Liane pare ​​​​son égérie littéraire​ des originales créations de René Lalique (1860-1945). Dans ses mémoires, Natalie évoque​ justement​ la bague en argent, émail et pierre de lune que Liane a commandée rien que pour elle chez l’illustre joaillier. 

Bague chauve-souris
Bague chauve-souris |

© Les Arts Décoratifs/photo : Jean Tholance

Mais l’amour entre Liane et Natalie est orageux et l’idylle ne dure finalement qu’un an. L’Américaine, qui n’admet pas l’infidélité de sa bien-aimée avec son protecteur italien, le comte Strozzi, comme le précise Francis Claude, part alors trouver du réconfort dans les bras de la jeune poétesse Pauline Tarn alias Renée Vivien (1877-1909). Comme à chacune de ses relations, Natalie devient une muse littéraire. Renée, qui lui dédie en 1901 son premier livre de poèmes, Études et Préludes, en fait l’un des personnages de son unique roman aux accents autobiographiques. Dans Une femme m’apparut écrit en 1904 et relatant une passion amoureuse inoubliable, la poétesse évoque les nombreuses amantes de « Vally », alias Natalie. Lucie Delarue-Mardrus est interprétée par « Doriane » tandis qu’Olive Custance trouve son double littéraire dans le personnage de « Dagmar ». Au sein du texte, les bijoux présentent une symbolique des plus parlantes. Le collier d’opales que porte Dagmar fait référence au surnom d’Olive, nommée également Opale dans la vraie vie, et à qui l’on doit également un recueil de poèmes du même nom, Opals, publié en 1897 chez John Lane and The Bodley Hade.​ ​Les pierres de lunes de Vally, elles, évoquent très explicitement le pseudonyme donné à Natalie par Liane de Pougy.  

À l’instar de Liane justement, Renée couvre, selon George Wickes, « sa sirène blonde », comme elle nomme Natalie, de précieux présents. Après chaque rendez-vous, elle a pris pour habitude d’envoyer à son amoureuse des fleurs, des poèmes et des bijoux2.

Bracelet de cheville
Bracelet de cheville |

© Les Arts Décoratifs

Mais à la fin 1901, jalouse et lassée des infidélités récurrentes de Natalie, la poétesse la trompe avec la baronne et femme de lettres Hélène de Zuylen de Nyevelt (1863-1947). Le cœur lourd, l’écrivaine rédige alors ses dernières volontés où elle distribue ses bijoux à ses nombreuses conquêtes. Une façon de découvrir le contenu de son précieux écrin 

Testament amoureux et joaillier de Natalie Clifford Barney

Jean Chalon, Chère Natalie Barney : portrait d’une séductrice
Renée Vivien : « mes cheveux, mes pendants de saphir, ma bague avec les lis et un gros anneau d’or ».  Lire l'extrait

Véritable reine du demi-monde, Liane de Pougy, réputée pour ses talents de danseuse et théâtreuse est également une écrivaine notable. En 1898, elle prend la plume pour la toute première fois. Son roman L’Insaisissable qu’elle dédie à son ami Jean Lorrain (1855-1906) fait sensation. Suivront six autres œuvres littéraires dont La Mauvaise Part-Myrrhille. L’histoire raconte les péripéties d’une courtisane dont le cou est décoré d’un carcan de rangs de perles. Le personnage ainsi paré dans le texte fait explicitement écho à Liane qui revêt un bijou similaire sur certaines photographies d’époque. Si cette dernière ne cherche pas à proprement parler la gloire littéraire, elle se sert toutefois de l’écriture pour établir une réflexion sur sa vie et sa condition, parsemant ainsi ses textes d’allusions et d’anecdotes autobiographiques. 

Portrait de Liane de Pougy
Portrait de Liane de Pougy |

© Ministère de la Culture - Médiathèque du patrimoine et de la photographie

Ayant quitté Paris après son triomphe aux Folies Bergères, Liane se rend en Russie. À Saint-Pétersbourg, la mondaine est entretenue par le comte Wladimir Miatlef. Si sa relation avec le sadique Lord Carnavon lui permet d’obtenir une perle au prix considérable, Henri Meilhac, auteur dramatique et librettiste, grand collaborateur du compositeur Offenbach, lui offre chez Boucheron un collier de perles d’une valeur de 113 000 francs qu’elle cite lorsqu’elle fait l’inventaire de sa boîte à bijoux.  

Idole féminine de son temps, « la plus jolie femme du siècle » a donc bâti sa réputation sur sa beauté, ses charmes…et ses bijoux. Pour trouver les attributs qui feront d’elle la reine des nuits parisiennes, elle se presse dans les boutiques des plus grands joailliers de la capitale. Si Liane passe ainsi de nombreuses commandes chez Boucheron, elle fait toutefois payer la facture à ses prétendants comme le souligne sa correspondance avec le joaillier, éditée par Vincent Meylan3 

« Monsieur,  

Un de mes amis est passé chez vous de ma part, demandant qu’on m’envoie des petits étuis à rouge à lèvres. Cet ami était chez moi lorsque votre employé est venu les apporter. J’en ai choisi un – ce monsieur a voulu gracieusement me l’offrir disant qu’il passerait le soir même chez vous. Votre employé a refusé de le laisser. Je prends cette chose comme une insulte personnelle, car cet objet ayant été confié chez moi, je n’admets pas qu’on ait hésité un moment à le laisser ici. Je viens vous en rendre compte.

Liane de Pougy, 71 avenue Victor Hugo.4 »

Les mémoires rassemblées à titre posthume dans ses Cahiers bleus témoignent également de sa présence en tant que cliente chez les Frères Lambert, installés dans les années 1925, 20 avenue de l’Opéra. Ces derniers, qui tardent à lui livrer une broche, lui proposent toutefois de lui racheter lors de l’année 1917 un magnifique diamant de « 37 carats et demi d’un beau blanc bleuté sans défaut sauf un petit blanc imperceptible dans un coin » pour 105 000 francs​​ (soit 256 137,22 euros)​ alors que Cartier lui en offrait seulement pour 33 000 francs​ (80 500,27 euros)​​.​ Chez les joailliers Lambert, Liane se laisse donc aller à son amour pour les bijoux. Le 24 Mars 1920, elle semble charmée par un collier de 120 000 francs​ (292 728,25 euros)​ et établit le prix et la forme d’un bracelet qu’elle souhaite voir réalisé avec ses propres pierres.  

Notes

  1. Lire à ce sujet Natalie Clifford Barney et Liane de Pougy, Correspondances amoureuses, Paris, Gallimard, 2019  
  2. Georges Wickes, The Amazon of Letters: the life and love of Natalie Barney, New York, Putnam, 1977, p. 64
  3. Vincent Meylan, Boucheron, Archives secrètes, Paris, Télémaque, 2009, p. 38-39 
  4. Vincent Meylan, Boucheron, <em>Archives secrètes</em>, Paris, Télémaque, 2009, p. 38-39