Découvrir, comprendre, créer, partager

Focus

George Sand, la passion des gemmes et des bijoux

Portrait de George Sand
Portrait de George Sand

Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
Amantine Aurore Dupin (1804-1876), mieux connue sous son nom de plume, George Sand, a toute sa vie nourri un grand intérêt pour le champ minéralogique. Ses échanges épistolaires et certaines de ses œuvres – plus particulièrement Laura. Voyage dans le Cristal – en laissent un beau témoignage. Sa collection personnelle est aussi marquée par cet attrait. Le musée de la Vie Romantique conserve d’ailleurs une bague de l’écrivaine, sertie d’une pierre gemme, qui a fait l’objet d’une analyse récente. Nous allons tenter d’appréhender les rapports que George Sand entretenait avec la minéralogie en plongeant dans ses textes et en s’attardant également sur ce bijou.  

Les gemmes, une matière romanesque

Portrait de George Sand
Portrait de George Sand |

Bibliothèque nationale de France

Pour George Sand, autrice prolifique, les gemmes ont composé une matière romanesque à part entière. Elles apparaissent notamment dans son « conte fantastique » Laura. Voyage dans le cristal, et sous un jour plus personnel dans son autobiographie, Histoire de ma vie publiée en 1855. Dans son roman Valvèdre (1861) les évocations à l’univers des pierres abondent également :   

 « J’aime les diamants fins et ne puis souffrir les imitations, par conséquent les métaphores. », « Je la ferai arranger autrement, et tout le monde croira que c’est un saphir oriental. », « Entre la femme et le diamant, il y a une attraction surnaturelle ! », « Les gros yeux de Moserwald brillèrent comme des escarboucles. ». 

George Sand s’intéresse à l’histoire naturelle, et plus particulièrement à la minéralogie, passion qu’elle partage avec son fils Maurice (1823-1889). En 1857, elle lui confie « Ma toccade [sic] actuelle serait d’apprendre la minéralogie.1 » Elle ajoute le 11 juillet 1859 dans sa correspondance avec sa fille, l’écrivaine Solange Clésinger (1828-1899) : « Ah ! Si j’avais le temps, quelle rage j’aurais pour la géologie et la minéralogie ! Mais il faut faire des romans !2». 

À la suite de sa visite au Muséum national d’Histoire naturelle de Paris, en mars 1862, où elle rencontre notamment le minéralogiste Auguste Daubrée (1814-1896) et le botaniste et géologue Charles d’Orbigny (1806-1876), elle note « J’ai une carte d’entrée pour tous les musées d’histoire naturelle, à toutes les heures. Je vas [sic] me payer ça souvent3». C’est après avoir examiné attentivement une géode d’améthyste au Muséum qu’elle a l’idée d’entrainer ses personnages dans un voyage fantastique. Elle écrira par la suite à son fils : « Je te recommande quand tu iras, la géode d’améthyste d’où j’ai tiré l’idée de mon conte fantastique.4» 

Nous sommes en 1863, George Sand entame alors l’écriture de Laura. Voyage dans le cristal (1864), initialement intitulé Géode puis Cristal. Il paraît dans La Revue des Deux Mondes des 1er et 15 janvier 1864. Une édition non autorisée est publiée chez G. Paetz la même année. Michel Lévy frères éditent le roman en 1865 avec Les Charmettes, Lettres d’un voyageur et Ce que dit le ruisseau. L’ouvrage est dédicacé « À Mme Maurice Sand », sa belle-fille, passionnée, comme toute la famille, par la minéralogie.  

Laura, Voyage dans le cristal
Laura, Voyage dans le cristal |

Bibliothèque nationale de France

Ce conte débute en Allemagne dans la boutique d’un certain Alexis Hartz, naturaliste et marchand de minéraux. Le narrateur brise une géode par mégarde. Suite à cet incident, le marchand entreprend de lui raconter l’histoire de la pierre. Jeune étudiant en minéralogie, Alexis travaille chez son oncle, le professeur Tungsténius, conservateur du cabinet d’histoire naturelle de la ville de Fischausen. Il tombe alors amoureux de sa cousine Laura. Cette dernière lui préférant son ami Walter, il imagine un pays merveilleux où il la retrouve pour un voyage onirique dans le cristal. Par son art de la fiction romanesque, George Sand, parvient avec ce conte à diffuser les savoirs scientifiques de l’époque.  Elle évoquera par exemple les « molécules intégrantes » du père de la cristallographie, René-Just Haüy (1743-1822) et les anciens âges géologiques de la Terre. 

Ce livre n’est pas sans rappeler Voyage au centre de la Terre de Jules Verne (1828-1905), écrit en 1864 et paru vers la fin de l’année, soit peu de temps après le conte de George Sand. Les deux romans ont de nombreux éléments en commun, à commencer par les noms et les situations. L’universitaire Simone Vierne (1936-2016) se demande d’ailleurs dans ses travaux en 1969 si Jules Verne n’aurait pas été inspiré par ce Voyage dans le cristal. L’écrivain écrit au chapitre vingt-deux du roman « Je m’imaginais voyager à travers un diamant ».

Philippe Mustière évoque également l’attention que portent Verne et Sand aux minéraux et au monde souterrain, vivement inspirée par la lecture des Mines de Falun (1819) d’E.T.A Hoffman ou de Voyage en Orient de Gérard de Nerval (1851). L’ingénieur et explorateur Louis Simonin (1830-1886) dédiera à George Sand son livre Les Pierres. Esquisses minéralogiques paru en 1869 : « À George Sand qui dans plusieurs de ses immortels ouvrages a rendu aux sciences naturelles un hommage dont elles lui sont reconnaissantes. » 

Échantillons divers
Échantillons divers |

Bibliothèque nationale de France

Les pierres précieuses
Les pierres précieuses |

Bibliothèque nationale de France

Laura. Voyage dans le cristal, tombé dans l’oubli après la mort de la romancière, n’a été réédité pour la première fois qu’en 1977 puis à plusieurs reprises dans les années 2000.  

Joaillerie et relations familiales

Bracelet néorenaissance
Bracelet néorenaissance |

© Paris Musées / Musée de la Vie Romantique, CC0

Dessin d’une main gauche avec quatre bagues
Dessin d’une main gauche avec quatre bagues |

© Musée George Sand et de la vallée noire

La passion de George Sand pour les gemmes  découle de son goût pour la joaillerie 

 J’aime les bijoux surtout de passion. Je ne trouve pas de création plus jolie que ces combinaisons de métaux et de pierres précieuses, qui peuvent réaliser les formes les plus riantes et les plus heureuses dans de si délicates proportions. 

George Sand, Histoire de ma vie, Tome V, Paris, Michel Lévy, 1856, p. 38

Dans son autobiographie Histoire de ma vie en 1855, elle y décrit le rôle majeur joué par une bague dans le rétablissement des bonnes relations entre les femmes de sa famille :  

« Il me trouva sur les genoux, contre le sein de ma bonne maman, qui pleurait en s’efforçant de me faire rire. On ne m’a pas raconté ce qui se passa entre eux, et comme je n’avais que huit ou neuf mois, il est probable que je n’en tins pas note. Il est probable aussi qu’ils pleurèrent ensemble et s’aimèrent d’autant plus. Ma mère, qui m’a raconté cette première aventure de ma vie, m’a dit que, lorsque mon père me ramena auprès d’elle, j’avais dans les mains une belle bague avec un gros rubis, que ma bonne maman avait détachée de son doigt, en me chargeant de la mettre à̀ celui de ma mère, ce que mon père me fit observer religieusement. » 

Au fil de ces lignes, George Sand raconte comment cette bague lui aurait été mise au doigt par sa grand-mère, Marie Aurore de Saxe (1748-1821), en guise de cadeau de réconciliation destiné à Victoire Delaborde (1773-1837), la mère de George Sand. En effet, Maurice Dupin de Francueil (1778-1808), père de George Sand, s’étant marié contre l’avis de sa mère avec Victoire Delaborde d’origine roturière, Marie-Aurore refusait de reconnaître et de rencontrer sa belle-fille. 

La bague de George Sand : un cas d'étude gemmologique

Bague de George Sand
Bague de George Sand |

© Musée de la Vie romantique

Cette bague, intégrée à la célèbre exposition Dix siècles de joaillerie au musée du Louvre en 1962, aujourd’hui conservée et présentée dans les vitrines du Musée de la Vie Romantique à Paris, dans un écrin de fabrication postérieure a récemment fait l’objet d’une analyse gemmologique5. Après être passé selon les hypothèses de Madeleine Charageat (1898-1974) entre les mains de Marie-Josèphe de Saxe, Dauphine de France en 1766, puis dans celles de Marie Aurore de Saxe et de George Sand, le bijou est légué en 1923 par Aurore Lauth-Sand au musée Carnavalet. Mentionnée comme « un rubis entouré de diamants jaunes » dans les archives du minutier central de Paris et notamment dans le contrat de mariage de 1777 de Marie-Aurore avec Louis Dupin de Francueil (1715-1786), la bague est étudiée dans le courant des années 1930 par « l’office national des pierres précieuses ». En décembre 1954, dans le Bulletin du musée Carnavalet, elle est présentée comme « un rubis clair entouré de diamants ».

Face à ces données historiques, il convenait de révéler les derniers secrets de ce bijou. L’apport de la gemmologie scientifique portative (Raman, absorption optique et fluorescence X),  a notamment permis d’obtenir plus d’informations. Tous les documents présentent la gemme centrale comme étant un rubis, tandis que des identifications plus récentes la rapprochent d’« un saphir incolore sur fond rosé ».

Analyse gemmologique de bague ayant appartenu à George Sand
Analyse gemmologique de bague ayant appartenu à George Sand |

© Musée de la Vie romantique

La gemmologie conventionnelle (réfractomètre, thermo-conductimètre) a permis de déterminer l’entourage comme étant des diamants taille ancienne et la pierre centrale comme appartenant à la famille minéralogique du corindon. La spectrométrie Raman a confirmé sa nature de corindon. La spectrométrie de fluorescence X a, quant à elle, révélée la présence de titane et de chrome en traces alors que la présence de fer n’a pu être mise en évidence. La pierre centrale a finalement pu être identifié comme un saphir très légèrement bleuté (d’origine métamorphique) apparaissant rouge à l’œil du fait d’un artifice.  

Bague de George Sand sous éclairage UV
Bague de George Sand sous éclairage UV

La couleur de la gemme étant de faible intensité, on comprend que le joailler ait fait le choix de mettre un paillon invisible sous ce saphir. Technique courante au 18e siècle, permettant aux pierres d’apparaître visuellement plus rutilante, le paillon est une mince feuille d’argent teintée en rouge et placée sous la culasse, partie inférieure de la pierre. Sa présence permet d’exclure l’identification historique de la gemme comme étant un rubis. L’hypothèse plus récente du « saphir incolore sur fond rose » peut désormais être corrigée comme suit : la bague de George Sand est composée d’un « saphir de 5,8 carats environ, légèrement bleuté, monté sur paillon rouge afin de donner l’illusion d’un rubis rouge vif6 ». 

Notes

  1. George Sand, Correspondances, t. XIV, à Maurice Dudevant-Sand, 12 août 1857, p. 416.
  2. George Sand, Correspondances, t. XV, à Solange Clésinger, 11 juillet 1859, p. 452. 
  3. George Sand, Correspondances, t. XVI à Maurice Dudevant-Sand, 12 mars 1862, p. 858
  4. George Sand, Correspondances, t. XVII, à Maurice et Lina Dudevant-Sand, 12 février 1863, p.451
  5. Chabert D., Panczer G., Riondet G. (mars 2020). Analyse gemmologique de la bague de George Sand. Revue de Gemmologie A.F.G., p. 27-31.
  6. Ibid