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Focus

Palais, médailles et imprimés

Les supports de l’image royale au 16e siècle
Blois, château : cour intérieure. Aile Louis XII.
Blois, château : cour intérieure. Aile Louis XII.

© Bibliothèque nationale de France

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Comment diffuser son image ? La question est d’importance pour les grands souverains de la Renaissance. Qu’il s’inscrivent dans l’espace grâce à leurs splendides architectures palatiales, ou qu’ils entrent dans les foyers par le biais de petits objets reproductibles, François Ier, Charles Quint et Henri VIII prêtent une grande attention à la diffusion de leurs images.

Si les bâtiments servaient traditionnellement de décors à des mises en scène, ils témoignaient en outre par eux-mêmes du pouvoir, de la fortune et de la magnificence du souverain qui avait ordonné leur construction et leur riche aménagement.
Bien que Charles Quint ait disposé de ressources plus importantes que les deux autres rois, c’est lui qui construisit le moins, probablement parce qu’il passait beaucoup de temps sur les routes d’Europe à sillonner son empire. Il n’en fit pas moins édifier un palais à l’emplacement de l’Alhambra de Grenade à partir de 1526 : un monument dont le style purement classique, encore inhabituel en dehors de l’Italie, était peut-être un moyen de rappeler que Charles était le successeur des empereurs romains.
En France, le chantier du château de Blois débuta l’année de l’accession au trône de François Ier, celui de Chambord en 1519 et celui de Fontainebleau en 1528, comme pour concurrencer le nouveau palais de l’Alhambra. Ces trois châteaux furent construits en partie dans le style italien à la mode, avec parfois l’intervention d’artisans italiens.

Henri VIII ordonna lui aussi la construction ou la reconstruction de palais : à Greenwich au bord de la Tamise, à Whitehall et à Sans-Pareil (Nonsuch), dans le Surrey, où les travaux débutèrent en 1538 (Hampton Court ne fut pas bâti pour le roi mais pour le cardinal Wolsey, son ministre, qui le lui offrit en 1528 dans une vaine tentative d’éviter la disgrâce). Ayant entendu parler du palais de Fontainebleau, le roi d’Angleterre se sentit l’envie d’imiter le monarque français ou même de faire mieux que lui, tout comme l’évocation du palais de Grenade avait piqué au vif ce dernier.

L’apparition des « portraits d’État »

L’image des trois monarques, au sens strict, figure sur de nombreux tableaux et sculptures, en cette époque qui vit apparaître le « portrait d’État » (state portrait), spécifiquement conçu « pour représenter des personnages éminents sous leurs traits officiels ». Il s’agit le plus souvent de portraits en buste ou à mi-corps, comme celui de Gustave Ier Vasa peint en 1542, celui de Sigismond Ier réalisé en 1555, ou encore les effigies de nos trois monarques au début de leur règne : la sculpture de Charles Quint par Conrad Meit, en 1517, le portrait d’Henri VIII par un artiste inconnu, vers 1520, et un portrait de François Ier par Jean Clouet, vers 1518.

Le roi armé et à cheval
Le roi armé et à cheval |

© Bibliothèque nationale de France

Essai de teston en or
Essai de teston en or |

© Bibliothèque nationale de France

Henri VIII en chef de l’Église d’Angleterre
Henri VIII en chef de l’Église d’Angleterre |

Photo © The British Museum, Londres, Dist. RMN-Grand Palais / The Trustees of the British Museum

Charles Quint vainqueur à Tunis
Charles Quint vainqueur à Tunis |

Photo © Kunsthistorisches Museum, Wien

Des portraits plus imposants seront réalisés plus tard : après un portrait en pied, Titien peignit Charles Quint deux fois en 1548, d’une part en armure et à cheval, et d’autre part en habits ordinaires et assis. Le sculpteur Leone Leoni ébaucha les plans d’une statue équestre de l’empereur qui aurait dû être dressée à Milan. On doit à Holbein un inoubliable portrait en pied d’Henri VIII (détruit dans un incendie, mais dont il nous reste une esquisse). Pas de grand portrait équestre de François Ier en revanche : celui qui nous est parvenu, probablement de la main de Jean Clouet, est une miniature. La statue équestre du roi qui fut dressée à Rouen en 1517 n’était qu’une œuvre temporaire, destinée à durer le temps d’une fête.

Comme le portrait officiel, le portrait sur médaille est une invention relativement récente, qui ne remonte pas au-delà du 15e siècle italien. Il a l’avantage de pouvoir être produit en masse et d’associer le portrait avec une image au revers accompagnée d’une brève inscription, évoquant souvent un événement marquant du règne. Ainsi, la victoire des Français à Marignan, en 1515, fut commémorée par une médaille portant la devise « François Premier très invincible roi des Français » ( « FRANCISCUS PRIMUS F. R. INVICTISSIMUS »). En 1545, Henri VIII fit frapper une médaille le représentant comme le chef de l’Église d’Angleterre. Mais c’est Charles Quint qui eut le plus recours à ce nouveau moyen de communication. On connaît de lui une vingtaine de médailles différentes, la plupart fabriquées en Allemagne. L’une d’elles, portant la devise « FUNDATORIS QUIETI » ( « le pacificateur » ), commémore la paix de Cambrai (1529) ; une autre associe au nom de l’empereur l’épithète « AFRICANUS », en référence à sa campagne en Afrique du Nord (1535). En donnant de certains événements du règne une interprétation favorable au monarque, ces médailles se rapprochent, plus que tout autre moyen de communication de leur temps, de ce que nous appelons aujourd’hui « propagande ».

François Ier et la bataille de Marignan
François Ier et la bataille de Marignan |

© Bibliothèque nationale de France

Les trois souverains ont également été représentés de façon métaphorique par leur blason, figuré sur les bannières, les monnaies et les médailles, dans les palais, les chapelles, etc. : la salamandre pour François Ier, la herse ou la rose pour Henri VIII, et pour Charles Quint les colonnes d’Hercule associées à la fière devise « Plus ultra », allusion à la conquête du Nouveau Monde.

Écus aux armes de Charles d’Orléans-Angoulême, Louise de Savoie, François et Marguerite d’Angoulême
Écus aux armes de Charles d’Orléans-Angoulême, Louise de Savoie, François et Marguerite d’Angoulême |

© Bibliothèque nationale de France

La salamandre et le lys de France prisonniers de l’aigle impérial
La salamandre et le lys de France prisonniers de l’aigle impérial |

Bibliothèque nationale de France

François Ier, son épée à la main, pénètre dans le temple de Jupiter
François Ier, son épée à la main, pénètre dans le temple de Jupiter |

© Bibliothèque nationale de France

L’imprimerie, un nouveau moyen de communication

Le plus important nouveau moyen de communication au service de ces trois monarques a naturellement été l’imprimerie. À partir de la fin du 15e siècle, les proclamations et ordonnances lues en place publique sont de surcroît imprimées, généralement par des imprimeurs royaux tels que Thomas Berthelet à Londres ou Johannes Schoeffer à Mayence, imprimeur officiel de la chancellerie de Charles Quint. En plus de faire savoir aux lecteurs ce qu’ils étaient censés faire ou ne pas faire, ces textes affichés dans les lieux publics constituaient une image du souverain au nom duquel ils étaient édictés.

Le sacre de François Ier, à Reims
Le sacre de François Ier, à Reims |

© Bibliothèque nationale de France

Traités et trêves étaient non seulement proclamés, mais aussi publiés. Cérémonies et spectacles étaient décrits par des textes imprimés, à commencer par Lordre du sacre et Lentree du tres chrestien roy en l’honneur de François Ier, en 1515. De la même manière, le couronnement d’Henri VIII fut commémoré en vers dans A Joyfull Medytacyon (1509), de Stephen Hawes, et le premier couronnement de Charles Quint dans Le Triumphe du couronnement (1520), publié à Anvers en flamand et en français. Certains des discours de Charles Quint furent également imprimés en quatre langues.
Au cours de leur règne, nos trois monarques eurent recours à « la presse » pour justifier leurs actions en temps de crise ou de conflit. En 1525, après la bataille de Pavie, un récit des événements est publié sous le titre de Relación de las nuevas de Italia, sur ordre des « Seigneurs du Conseil ». Lorsque François Ier est libéré de captivité, à condition de rendre la Bourgogne (condition qu’il refusera de respecter dès qu’il aura recouvré la liberté), son conflit avec Charles Quint entre dans l’arène « médiatique ». Le roi de France justifie la violation de ses conditions de libération dans une Apologie contre le traicté de Madrid (1526) et une Deffense du roi tres chrestien (1528), tandis que l’entourage de l’empereur monte ce qu’un historien américain a qualifié de « campagne de propagande impériale ». C’est la première fois qu’un souverain utilise, à si grande échelle, l’imprimé contre un autre souverain. Les conseillers de l’empereur ont peut-être été impressionnés par l’efficacité avec laquelle Martin Luther avait employé ce moyen de communication pour justifier sa position et rassembler son mouvement religieux au début des années 1520.
En Angleterre, c’est lorsque Henri VIII s’autoproclame « chef suprême de l’Église d’Angleterre » (1534), suite à son échec de persuader le pape d’annuler son mariage avec Catherine d’Aragon, que l’imprimerie est pour la première fois réquisitionnée à l’appui des actes d’un souverain anglais. Lors d’une importante rébellion dans le nord de l’Angleterre, appelée « pèlerinage de Grâce » (1536), l’imprimeur royal Berthelet fait paraître Une exhortation au peuple lui enjoignant de s’unir et d’obéir (An exhortation to the people instructing them to unity and obedience), par Thomas Starkey, et Une lamentation montrant que la ruine et la destruction naissent de la rébellion séditieuse (A lamentation in whiche is shewed what ruyne and destruction cometh of seditious rebellion), par Richard Morison. Ce n’est peut-être pas un hasard si Hans Holbein est nommé peintre du roi en cette même année 1536. Quoi qu’il en soit, des images imprimées du roi commencent à circuler vers cette date, notamment sur la page de garde de la Bible de Coverdale (1535), dans laquelle le portrait d’Henri VIII est l’œuvre de Holbein, et de la Grande Bible de 1539.