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Gardes de sabre

Le Japon Artistique, documents d’art et d’industrie réunis par S. Bing
Gardes de sabre
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« On a suffisamment démontré la perfection que les Japonais déploient dans la reproduction des œuvres de la nature avec toutes les conditions de la vie et du mouvement. Mais cette extrême conscience appliquée à l’imitation fidèle des choses a pu donner le change sur la portée véritable d’un art qui en réalité a des visées beaucoup plus hautes : la où l’on est simplement tenté d’admirer la merveilleuse copie d’une chose vue, parce qu’elle paraît aussi logiquement construite et aussi vraie que dans la grande nature, on sera souvent surpris de découvrir une composition sortie de toutes pièces du cerveau et de la main d’un artiste de mérite.
La garde aux souris qui figure ici fournit une preuve concluante à l’appui de cette thèse. Ne devrait-on pas croire d’abord que chacune des petites bêtes rongeuses a été saisie sur le vif, à les voir dans leurs attitudes diverses toutes si naturelles, si alertes et si souples ? Et pourtant, impossible de le contester : tout est invention dans cette petite composition où le don de l’observation a dû se compléter par un art consommé des arrangements. Les souris qui courent ou se pelotonnent tout juste de la manière qu’il faut pour les besoins de la cause, sont faites chacune d’une matière différente pour offrir à l’œil une grande diversité de tons et constituer la palette, si bien décrite dans la chronique de M. Falize en tête du présent numéro. Elles sont de shakudo, d’or, d’argent, de shibuitshi ou de bronze rouge. Des incrustations de métaux divers contribuent encore à varier les effets, à donner un accent de vie aux yeux, du relief aux fines moustaches des museaux. Cet objet ne porte aucune signature.
La garde qui montre une chimère debout sur un socle, et paraissant se couvrir de la plaque centrale comme d’un bouclier héraldique, sort, d’après la signature qui s’y trouve gravée, de la main d’Oumétada, célèbre armurier du 16e siècle. Elle est ornée d’incrustations d’or, représentant des taches sur le dos de la bête, et simulant des nervures de bois dans le tabouret qui la supporte.
Une autre garde, représentant le vol d’une troupe compacte d’hirondelles de mer (thsidori), est exécutée en shibuitshi, les yeux incrustés d’une minuscule pointe d’or. Le travail en est souple et doux comme une maquette de cire, et le style imité de celui que Kôrin avait créé dans l’interprétation donnée à ces sortes d’oiseaux. Les compositions de Kôrin sont devenues si populaires que leur souvenir est presque inséparable de certains de ses sujets de prédilection. C’est ainsi qu’on ne se figure plus, pour ainsi dire, les hirondelles d’eau autrement que sous cette forme particulière, et on leur a donné, ainsi représentées, le nom de Kôrin no Tsihdori. La pièce est signée Hirotshika, nom d’un artiste du 18e siècle.
La quatrième garde est formée par un tigre dont la queue se replie de manière à donner le contour circulaire de l’objet, une branche de bambou garnissant le vide intérieur. Fer ciselé à jour et incrusté d’or. Signé Ikkin, d’après le dessin de Massayoshi (commencement du 19e siècle). » (p. 62)

© Bibliothèque nationale de France

  • Auteur(es)
    Siegfried Bing (1838-1905)
  • Description technique
    Publication mensuelle, de 1888 à 1891
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la Photographie, RESERVE 4-YA5-1

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm314200433t