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Départ en croisade de l’armée française, conduite par le roi Philippe VI

Guillaume Adam, Advis directif pour faire le passage d’Outremer
Départ en croisade de l’armée française, conduite par le roi Philippe VI
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En 1455, Jean Miélot acheva à la demande de Philippe le Bon la traduction du Directorium ad passagium faciendum. Ce texte daté de 1332, rédigé par un dominicain résidant à Avignon, était adressé au roi de France Philippe VI de Valois. On s’accorde aujourd’hui à l’attribuer à Guillaume Adam, un frère prêcheur originaire du Midi, qui fut missionnaire au Moyen Orient et composa un ouvrage sur la guerre sainte (De modo Sarracenos extirpandi). Le récit du voyage d’Adam intéressait particulièrement Philippe VI, qui avait le projet d’entreprendre une nouvelle croisade.
C’est dans le même contexte que Miélot traduisit ce texte latin pour le duc de Bourgogne. Durant toute sa vie, Philippe le Bon avait caressé l’idée d’une expédition contre les Turcs, qui avaient capturé son père, Jean sans Peur, après la défaite de Nicopolis, en septembre 1396. En 1421, Guillebert de Lannoy partit en reconnaissance, dans un long voyage qui le mena en Égypte et en Syrie, après un passage par la Prusse, la Pologne, la Hongrie, l’Ukraine, Constantinople et la Crète. Il revint avec un récit détaillé, qu’il mit plus tard par écrit dans ses Voyages et ambassades. Bertrandon de la Broquière suivit ses traces en 1432-1433, rapportant lui aussi un journal, le Voyage en la terre d’Outremer, qu’allait retravailler Jean Miélot (Paris, BNF, Mss, fr. 9087). Durant toutes ces années, le projet d’expédition militaire vivota et ce n’est qu’après la chute de Constantinople, en 1453, que l’idée en fut ravivée. L’année suivante, le duc organisa le banquet du Faisan, au cours duquel les participants firent le voeu de partir en croisade. C’est probablement à la suite de cet événement marquant que Miélot fut chargé de traduire le Directorium. Le manuscrit de Bruxelles est daté de 1455 et constitue peut-être la traduction originale de Miélot : elle est en tout cas transcrite sur papier, comme de nombreux écrits de sa main et l’écriture pourrait être la sienne. Miélot en fit transcrire une copie sur parchemin, qui fut reliée avec d’autres textes dans un exemplaire de luxe destiné au duc et conservé à l’heure actuelle à Paris (BNF, Mss, fr. 9087). Les deux manuscrits sont repris dans l’inventaire de la librairie de Bourgogne dressé en 1467-1469.
L’Advis directif de Bruxelles comporte trois miniatures à mi-page, peintes à l’aquarelle sur un support de papier. Leur auteur, Jean Le Tavernier, montre ici une facette de son savoirfaire largement occultée par la focalisation de la critique sur sa production de miniatures en grisaille. Mais il lave les couleurs avec le brio qui caractérise ses images « de noir et de blanc ». La composition est d’abord esquissée à grands traits, à la plume ou au pinceau, avec une aisance dans le dessin que laissent aussi apparaître les grisailles du maître audenardais. Vient ensuite la pose des couleurs, réalisée avec une grande économie de moyens. Le miniaturiste réserve de larges plages, qui laissent apparaître le support et donnent à la composition une légèreté aérienne. Les pigments sont appliqués en densités variables, qu’il s’agisse du lavis vaporeux, grisâtre ou légèrement bleuté, des murs et des toits, de la robe ocrée des chevaux ou des rehauts guimauve des membres de la cavalcade. Quelques francs aplats bleus ponctuent la composition : ils portent le lys de France, qu’ils mettent en évidence sur la housse du cheval royal, les brides et plaques de poitrail, les drapeaux et le tabard du cavalier ouvrant le cortège. Toutes les surfaces colorées, aussi transparentes soient-elles, sont animées de coups de pinceaux, ce qui donne à la composition une extraordinaire vibration. L’aspect « éthéré » du tableautin est renforcé par l’absence de décoration marginale. Seul un cadre à double filet rose et doré l’empêche de flotter librement sur la page. En cela, il contraste fortement avec l’initiale décorée ouvrant le texte : une imposante lettre sur un champ doré recouvert d’un rinceau de vignettes, d’une grande présence matérielle.
La miniature représente le roi de France Philippe VI partant en croisade, au moment où le long convoi s’ébranle et franchit les murs d’une ville figurée à grand renfort de détails. Des cavaliers attardés sur la place centrale se hâtent de rejoindre le cortège qui a passé l’une des portes fortifiées et un pont à plusieurs arches. Des églises, des tours, des habitations bourgeoises, maisons de pierre et de bois, s’observent dans une ville pour le reste désertée par ses habitants. Transparaît ici l’intérêt de Le Tavernier pour les paysages urbains et, plus que toute autre chose, son souci de mettre en scène, dans de tels décors, les récits qu’il était chargé d’illustrer tout en s’acquittant de sa tâche de la façon la plus engageante qui soit.

© Bibliothèque royale de Belgique

  • Date
    après 1455
  • Lieu
    Audenarde
  • Auteur(es)
    Jean Le Tavernier, enlumineur
  • Description technique
    Papier, 68 f., environ 380 × 270 mm, 3 miniatures à mi-page
    Provenance : commanditaire inconnu ; Philippe le Bon
  • Provenance

    Bruxelles, KBR, ms. 9095, f. 9

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm1242002813