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Le Jardin de Wang Wei

Estampage d’après une copie de la peinture de la villa de Wang Wei par Guo Zhongshu
Le Jardin de Wang Wei
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« Départ infini des oiseaux, / Montagnes couleur de l’automne... / Promenade à la Crête Fleurie / Quand finira ma mélancolie ? »

« Assis seul à l’écart au milieu des bambous, / Je joue de la cithare et chante à pleine voix ; / Dans la forêt profonde, où les hommes m’oublient, / Seul un rayon de lune est venu m’éclairer »

« Au bout des branches, fleurs de magnolias, / Dans la montagne ouvrent leurs rouges corolles ; / – Un logis, près du torrent, calme et vide – / Pêle-mêle, les unes éclosent, d’autres tombent. »

Tels sont quelques quatrains célèbres, teintés de bouddhisme, laissés par Wang Wei (699-759 ou 701-761) pour décrire le domaine où il avait élu résidence au pied des monts Zhongnan. Ce talentueux peintre, poète et musicien qui connut précocement la célébrité incarne un mélange harmonieux de lettré confucéen et de bouddhiste pratiquant, à une époque où cette religion était très florissante. Sa carrière de haut fonctionnaire à la cour fut interrompue brutalement après la rébellion d’An Lushan, lorsqu’il fut accusé de trahison au retour d’exil de l’empereur. Il vécut solitaire de nombreuses années, à l’écart du monde, au bord d’une rivière, dans une propriété qu’il s’était fait construire entre 744 et 747. Dès lors, sa villa devint le sujet de rêverie et le modèle - pictural et architectural – de générations de lettrés. C’est dans cette retraite champêtre, source de son inspiration créatrice, qu’il habita en ermite, méditant, lisant, peignant, composant et chantant ou recevant quelques amis.
L’aspect de ce domaine devenu un véritable mythe fut connu par trois gravures.

La présente illustration provient de la regravure par Bu Shi. La copie par Guo Shiyuan fut réalisée à partir, non de l’original de Wang Wei, mais de la peinture de Guo Zhongshu du 10e siècle, cette succession de reproductions ne pouvant certainement plus en restituer toute la saveur originelle. L’estampage n’est par conséquent qu’une imitation plus ou moins exacte d’une peinture du 8e siècle considérée comme le premier paysage panoramique en rouleau. La beauté du site est vue à travers les yeux d’un poète et, bien qu’il ne s’agisse que d’une réplique, une atmosphère empreinte d’un mysticisme discret s’en dégage. Le rouleau représente le plan du jardin tel que Wang Wei l’avait lui-même conçu et les vues légendées conservent le nom qu’il donna à chaque lieu. Il montre des enclos de végétation et des pavillons au bord d’une large rivière, au fond d’un vallon. La rivière sinueuse, apparaissant et disparaissant tour à tour, forme l’encadrement inférieur, tandis qu’une chaîne montagneuse constitue l’encadrement supérieur. Le rouleau s’ouvre par une belle construction sur la rive opposée à celle de la résidence. Un chemin tracé le long de l’autre rive traverse un premier enclos d’aspect assez énigmatique) cerné de hauts murs et planté de quelques arbres qui pourraient être le vestige d’une construction antérieure. Wang Wei apparaît plusieurs fois, d’abord assis dans un pavillon tandis qu’un serviteur lui apporte son luth. Sur la rivière, entraînés par un fort courant, circulent quelques bateaux et barques de pêcheurs. Plus loin, des cerfs vagabondent sur une colline clôturée. Dans l’un des pavillons devant lequel deux grues se promènent, le maître des lieux est à nouveau représenté lisant. Poursuivant la promenade, on arrive à un bâtiment aux portes fermées entouré d’une plantation de bambous. Quelques paysans déchargent des marchandises d’un bateau amarré à la rive. Plus loin encore, différents champs clos témoignent que la résidence assure sa propre subsistance. Aucun élément religieux n’est représenté et cependant le parc des cerfs marque discrètement l’obédience bouddhique du propriétaire.

Dans cette composition qui se déroule sur plusieurs mètres, Wang Wei montre qu’il fut un observateur attentif de la nature et de son domaine, portant une attention aux détails, sans qu’on puisse parler de peinture trop minutieuse ou appliquée. Les lieux reproduits se présentent comme autant de poches successives, les paysages étant circonscrits dans des espaces clos ou des écrins de végétation. Le dessin sobre est réalisé par un tracé fin, peu modulé, mais assez diversifié, les montagnes et rochers étant dessinés à l’aide de traits plus épais, irréguliers et discontinus. Quelques touches de blanc suggèrent la floraison des arbres. La finesse des lignes est sans doute obtenue par une gravure peu profonde dans la pierre. On note une profusion de traits courts, de rides et de points, bien qu’assez schématiques ici, qui sont l’une des caractéristiques de la peinture de Wang Wei et que les amateurs déchiffrent avec délectation, les soumettant à une véritable analyse graphologique. La représentation des rochers, figurés comme des masses en triangles arrondis qui s’enchâssent les unes dans les autres, ainsi que la répétition de traits parallèles créent un effet certain de profondeur, tandis que la chaîne montagneuse au loin n’est plus qu’une silhouette. Cette illustration obéit à certaines règles de perspective, même si celles-ci ne répondent pas aux critères occidentaux. L’œil circule horizontalement en découvrant au fur et à mesure une multiplicité d’échappées. Alors que le sol est légèrement incliné, la végétation et les montagnes sont représentées frontalement. Chaque toponyme est indiqué, ce détail caractérisant les cartes géographiques manifeste le lien entre cette peinture et la cartographie.

De nombreuses innovations qui se sont pérennisées sont attribuées à Wang Wei, connu pour avoir préféré la monochromie et les tons neutres à l’usage des couleurs vives prévalant à son époque et être le premier à peindre en continu sur rouleau en présentant non plus une succession d’images mais un panorama homogène sans rupture.

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    18e siècle 
  • Lieu
    Chine
  • Description technique
    Estampage en rouleau protégé par une enveloppe solidaire de soie brochée, illustration : 31,5 x 391 cm, estampage entier : 31,5 x 745 cm
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la Photographie, RÉSERVE OE-272-ROUL

  • Lien permanent
    ark:/12148/mmjwtrb7v83s