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The Indian Court and Jewels [La cour indienne et ses bijoux]

The Indian Court and Jewels [La cour indienne et ses bijoux]
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Présent à Londres, lors de la première exposition universelle en 1851, Théophile Gautier découvre les pierres précieuses, bijoux, riches tapis, châles et soieries de la section indienne. Subjugué par ce ruissellement de matières précieuses et par l’exposition du Koh-i-Noor, le plus grand diamant de l’époque présenté lors de l’événement, l’écrivain compare comme le précise Jean-François Luneau, les tissus orientaux aux pierres précieuses. Les adjectifs sont gemmés, orfévrés et les comparaisons s’émaillent. Les étoffes se muent alors en pierres scintillantes par la magie du verbe. La verve métallique du parnassien encense le texte. L’écrivain qui milite pour l’apogée de « l’art pour l’art » dont le but est uniquement la beauté, valorise avec brio le travail minutieux de l’orfèvre et le thème joaillier dans les vers d’Émaux et Camées (1852).

« Tantôt ce sont de larges bandes d'or, fleuves de lumières qui ruissellent en miroitant entre des rives d'améthyste, de rubis et de saphir ; tantôt un mince fil étincelant serpente dans la trame grenue qu'il égratigne d'une traînée de points phosphorescents ; ici l'argent pleut et fourmille en paillettes estampées sur une gaze d'azur qui frissonne et tremble comme un ventre de poisson au soleil, ou comme une eau au clair de lune ; là une dentelle d'or, plus fine que la maline ou la valcucienne, laisse rougeoyer un fond de paillon pourpre; plus loin, l'argent et l'or font combattre leur éclat blanc et jaune sur un champ de bataille rose. Mais quel rose ! Un rose idéal, un rose d'intérieur de clochette à l'heure.de la rosée ! Partout l'or scintille en paillettes, en mouches, en filigrane, en fleurs, en étoiles, en passequilles, en effilé, en fanfreluches ; il y a des moments où cela touche au délire.

On dirait que le luxe indien a voulu, engager une lutte directe avec le soleil, avoir un duel à mort avec la lumière dévorante de son ciel embrasé ; il essaye de resplendir d'un éclat égal sous ce déluge de feux ; il réalise les merveilles des contes de fées ; il fait des robes couleur du temps, couleur du soleil, couleur de la lune ; métaux, heurs, pierreries, reflets, rayons, éclairs, il mélange tout sur sa palette incandescente. Dans un tulle d'argent il fait palpiter des ailes de cantharides, émeraudes dorées qui semblent voler encore. Avec les élytres des scarabées, il compose des feuillages impossibles à des fleurs de diamant. Il profite du frison fauve de la soie, des nuances d'opale du burgau, des moires splendides et de l'or bleu du paon. Il ne dédaigne rien, pas même le clinquant, pourvu qu'il jette son éclair ; pas même le cristal, pourvu qu'il jette son feu. Il faut qu'à tout prix il brille, il étincelle, il reluise, qu'il lance des rayons prismatiques, qu'il soit flamboyant, éblouissant, phosphorescent. Il faut que le soleil s'avoue vaincu. »

Théophile Gautier, « L’Inde à l’Exposition universelle de Londres » dans L’Orient, Tome I, Paris, G. Charpentier, 1882, p. 331-333 

© Victoria and Albert Museum, London