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Sacrifice à Moloch

Salammbô
Sacrifice à Moloch
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Assiégée par les mercenaires, les ressources de Carthage s’amenuisent et des cadavres encombrent ses rues. Pour apaiser l’appétit de Moloch, « dieu dévorateur », les Anciens de Carthage décident de lui sacrifier les enfants des hauts dignitaires de la ville. Flaubert, avec une délectation sadique, n’épargne aucun détail dans la description du sacrifice.

« Cependant, un feu d’aloès, de cèdre et de laurier brûlait entre les jambes du colosse. Ses longues ailes enfonçaient leur pointe dans la flamme ; les onguents dont il était frotté coulaient comme de la sueur sur ses membres d’airain. Autour de la dalle ronde où il appuyait ses pieds, les enfants, enveloppés de voiles noirs, formaient un cercle immobile ; et ses bras démesurément longs abaissaient leurs paumes jusqu’à eux, comme pour saisir cette couronne et l’emporter dans le ciel. […] Il fallait un sacrifice individuel, une oblation volontaire et qui était considérée comme entraînant les autres. Mais personne, jusqu’à présent, ne se montrait, et les sept allées conduisant des barrières au colosse étaient complètement vides. Alors, pour encourager le peuple, les prêtres tirèrent de leurs ceintures des poinçons et ils se balafraient le visage. On fit entrer dans l’enceinte les Dévoués, étendus sur terre, en dehors. On leur jeta un paquet d’horribles ferrailles et chacun choisit sa torture. Ils se passaient des broches entre les seins ; ils se fendaient les joues ; ils se mirent des couronnes d’épines sur la tête ; puis ils s’enlacèrent par les bras, et, entourant les enfants, ils formaient un autre grand cercle qui se contractait et s’élargissait. Ils arrivaient contre la balustrade, se rejetaient en arrière et recommençaient toujours, attirant à eux la foule par le vertige de ce mouvement, tout plein de sang et de cris. Peu à peu, des gens entrèrent jusqu’au fond des allées ; ils lançaient dans la flamme des perles, des vases d’or, des coupes, des flambeaux, toutes leurs richesses ; les offrandes, de plus en plus, devenaient splendides et multipliées. Enfin, un homme qui chancelait, un homme pâle et hideux de terreur, poussa un enfant ; puis on aperçut entre les mains du colosse une petite masse noire ; elle s’enfonça dans l’ouverture ténébreuse. Les prêtres se penchèrent au bord de la grande dalle, et un chant nouveau éclata, célébrant les joies de la mort et les renaissances de l’éternité. »

Gustave Flaubert, Salammbô, chapitre XII, 1862.
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Charpentier, 1879

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1948
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Gustave Flaubert (1821-1880), auteur ; André Lambert, illustrateur
  • Description technique
    Eau-forte en couleurs
  • Provenance

    BnF, département de Littérature et art, 4-Y2-4121

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm132202774s