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Des imprimeurs pionniers au 15e siècle

Plutarque assis à son pupitre
Plutarque assis à son pupitre

Bibliothèque nationale de France

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Mouvement culturel né en Italie, dont Pétrarque est le précurseur au 14e siècle, l’humanisme conquiert l’Europe au siècle suivant. Ce mouvement effectue un retour aux textes classiques de l’Antiquité, dépouillés des altérations subies durant l’époque médiévale.

Les imprimeurs participent activement à ce mouvement, notamment en corrigeant les éditions fautives et vont faire évoluer la typographie dans un souci économique de réduction des caractères et une volonté de lisibilité. Ceux-ci sont non seulement d’excellents typographes mais également des humanistes et des savants qui mettent la typographie au service de leurs projets intellectuels et esthétiques.

C’est en Italie, berceau de l’humanisme, qu’Erherd Ratdholt fait évoluer la forme du livre. Après une formation en Allemagne, c’est en Italie également que Janson se perfectionne avant de rentrer en France où il crée véritablement les caractères typographiques.

Alde Manuce est, lui, le plus célèbre des imprimeurs humanistes européens. Installé à Venise, entouré de lettrés, il se consacre à l’édition de textes classiques. Alde Manuce est notamment le premier à faire usage des caractères italiques, imitant l’écriture cursive des manuscrits humanistes.

Les innovations d’Erhard Ratdolt

Kalendarium
Kalendarium |

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Erhard Ratdolt (vers 1447-vers 1527), originaire d’une famille d’ébénistes d’Augsbourg, s’installe à Venise et y publie ses premiers livres en 1476, dont un Calendrier de l’astronome Johannes Müller. C’est le premier livre à posséder un véritable frontispice : imprimé à l’encre noire et rouge, il présente, sous forme de poème, dans un large encadrement décoré de vases vénitiens et de rinceaux, le titre de l’œuvre, son auteur, le lieu et l’année de la publication ainsi que le nom de ses imprimeurs, le tout formant un ensemble équilibré et élégant. Imprimeur-éditeur dynamique, il publia des livres liturgiques et utilisa des lettres ornées gravées sur bois (auparavant, l’imprimeur laissait un espace vide en début de paragraphe pour laisser l’enlumineur compléter son travail). Le 25 mai 1482, il publie le premier traité illustré de géométrie, l’édition princeps des Eléments de géométrie d’Euclide, célèbre à plusieurs titres : non seulement les exemplaires ordinaires sont ornés de six cents figures géométriques réparties sur 138 feuillets, mais les exemplaires de présent sont ornés d’une dédicace imprimée à la feuille d’or. Il fit également un grand usage des illustrations sur bois et fut le premier à illustrer ses livres avec des bois polychromes – certaines gravures sur bois, outre un fond noir, nécessitent cinq autres passages, en rouge, jaune ocre, brun, vert olive et bleu acier – avant de rentrer en 1486 de Venise dans sa ville d’origine, Augsbourg, à l’invitation de l’évêque Johann von Werdenberg, où il dirige encore un qui publie 195 livres jusqu’en 1522. Entre autres innovations, on lui doit le premier spécimen typographique (1486), comportant des lettres de forme, des lettres de somme, trois corps de romain, un jeu de caractères grecs et un jeu de lettrines ornées, mais aussi l’impression de notes de musique à l’aide de caractères mobiles (1491).

Le caractère romain de Nicolas Jenson

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Qui est Nicolas Jenson ?
Par Nathalie Coilly

La Création du monde
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Né vers 1420 en Champagne, Nicolas Jenson était graveur et directeur de la Monnaie du roi à Tours, lorsque, en 1458, Charles VII (1422-1461) l’aurait envoyé en Allemagne afin de « parvenir à l’intelligence du nouvel art [d’imprimer par poinçons et caractères] et exécution d’icelui audict royaulme de France ». À Mayence, Jenson se fit admettre à l’atelier de Fust et Schöffer, prêtant serment sur l’Évangile de ne révéler à personne ce qu’il y apprendrait. Pendant trois années il s’appliqua à assimiler l’art typographique et ce jusqu’au sac de Mayence par les troupes de l’archevêque Adolphe de Nassau, dans la nuit du 28 octobre 1462. Délié de son serment, il suivit ses compagnons typographes et quitta Mayence. Il ne rentra toutefois pas en France comme convenu initialement : Louis XI, le nouveau roi de France, ne manifestait aucune sympathie pour l’imprimerie. Que fit-il entre 1462 et 1470, date à laquelle on le retrouve à Venise, imprimant la Préparation évangélique ? Certains estiment qu’il suivit à Subiaco les imprimeurs Sweynheim et Pannartz, d’autres soutiennent qu’il partit travailler à Cologne avec Ulrich Zell.
C’est à Venise que Jenson établit sa renommée de maître imprimeur. Il commença comme assistant de Jean et Wendelin de Spire (peut-être est-il le graveur de leur caractère romain ?), puis s'établit en 1470. Avec Jean de Cologne, il fonda la première grande société commerciale typographique, qui avait des agents à Milan, Vérone, Crémone et jusqu’à Pérouse.

L’apport majeur de Jenson à la typographie est son caractère romain, déjà ébauché dans le Lactance (1465) de l’atelier de Subiaco, et enfin mis au point en 1470. Ce romain à empattements triangulaires épais marque le passage de la calligraphie à la composition typographique. Jenson va ainsi libérer la minuscule de ses accolements calligraphiques, ne conservant que quelques doubles lettres telles le ‘st’, le ‘ct’, le ‘ff’ et le ‘fl’.

Opera de Lactance
Opera de Lactance |

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Adam, Ève et le serpent
Adam, Ève et le serpent |

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La tonalité générale du caractère est régulière, d’un aspect reposant pour l’œil et d’une facilité de lecture qui tranche avec les lettres gothiques qui l’ont précédé. Jenson allait ainsi unifier la minuscule calligraphique avec la capitale latine, en donnant plus d’ampleur à ladite minuscule et en substituant à la graisse uniforme des traits de la lettre latine le jeu des pleins et des déliés. Ceci entraîna un élargissement de l’approche des lettres, autrefois plus resserrées, isolant de manière décisive la lettre. Ce romain reçut un accueil si enthousiaste qu’il en consacra l’usage et en assura la diffusion. Son fonds fut acquis en 1479 par Andrea Torresano, beau-père d’Alde Manuce.

L’imprimeur humaniste : Alde Manuce et ses italiques

Le Cose volgari di messer Francesco Petrarcha
Le Cose volgari di messer Francesco Petrarcha |

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Aldo Manuzio ou en latin Aldus Manutius, est connu en France sous le nom d’Alde Manuce. Né en 1450, il fit de solides études classiques, apprenant le latin à Rome et le grec à Ferrare. Ses neveux et leur mère furent les premiers financiers d’Alde, dont le projet était d’éditer et d’imprimer à grande échelle tous les classiques de la littérature grecque. En 1490, Alde Manuce s’établit comme imprimeur à Venise, où vivaient de nombreux érudits grecs ainsi que des marchands aisés et cultivés. Sa première publication fut une grammaire grecque et latine de Constantin Lascaris (1495) et il commença l’impression des œuvres d’Aristote. Il multiplia les éditions grecques (Hésiode, Théocrite, Aristophane, Hérodote, Thucydide, Sophocle, Euripide, Démosthène, Platon, etc.) mais aussi latines (Quintilien, Bembo, Érasme, etc.). Érudit, il parlait couramment le grec et écrivait dans cette langue ses dédicaces et ses préfaces. En 1499 il épousa la fille de l’imprimeur Andrea Torresano, dont il eut trois fils et une fille. L’entreprise éditoriale de Manuce se révéla fort complexe dans la mesure où les manuscrits grecs étaient rares et pour un même texte présentaient souvent des variantes déconcertantes. Profitant de la présence à Venise de nombreux réfugiés byzantins, il réunit des érudits grecs qu’il employa à collecter, relire et éditer les textes classiques. Toutes les opérations de fabrication du livre étaient réalisées dans les ateliers de Manuce. Il fabriquait lui-même son encre et faisait relier les livres qu’il vendait. Manuce s’attacha également à faire dessiner et fondre des caractères d’imprimerie. D’abord des caractères grecs un peu grêles avec de trop nombreuses ligatures, fondés sur l’écriture soignée de son principal érudit grec, Marc Musurus de Crète. Ensuite, un romain finement dessiné avec pleins et déliés donnant du relief au texte, œuvre du calligraphe Francesco de Bologne, dit Griffo.

Satires de Juvénal
Satires de Juvénal |

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Mais la grande innovation qu’Alde Manuce apporta à la typographie fut de faire fondre par le même Griffo de gracieux caractères semi-cursifs, inspirés si l’on en croit la légende de l’écriture du grand poète italien Pétrarque. Ces caractères fondés sur l’écriture de chancellerie en usage à Venise à cette époque, rappelaient plus un romain incliné qu’un véritable italique, mais désormais nul romain ne serait gravé sans sa version italique. Bien plus serré que les romains traditionnels, l’italique permettait à l’imprimeur de gagner de l’espace et d’abaisser ainsi les coûts de production. Le premier livre imprimé avec ce caractère fut un Virgile paru en 1501.

In Epistolas Ciceronis ad Atticum Pauli Manutii commentarius
In Epistolas Ciceronis ad Atticum Pauli Manutii commentarius |

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La fameuse marque d’Alde Manuce, à l’ancre entrelacée d’un dauphin, fut copiée pour plusieurs siècles dans toute l’Europe, ainsi que ses éditions par des imprimeurs aussi bien italiens que lyonnais ou allemands, qui n’avaient pas à supporter les coûts importants liés à la préparation des textes. Ce travailleur acharné parvint cependant à fonder une dynastie : à sa mort en 1515, ses fils poursuivirent son œuvre, à Venise ou à Rome (Paul Manuce travailla ainsi pour le Vatican), avant que l’atelier familial ne fût dissous en 1597. On doit aux Manuce d’avoir répandu la littérature grecque en l'imprimant sous la forme de volumes si petits et vendus à un prix si compétitif, qu’on a pu prétendre qu'ils avaient inventé le livre de poche.

L’imprimeur-éditeur humaniste : Josse Bade

Tertius et quartus tom... operum origenis adamantii quorum tertius…
Tertius et quartus tom... operum origenis adamantii quorum tertius… |

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Josse Bade (en latin Jodocus Badius Ascensius car il était né en 1461 ou 1462 à Asse ou Asch près de Bruxelles), fut d'abord élevé chez les frères de la Vie commune à Gand et poursuivit ses études à Louvain puis en Italie. Il enseigna les belles-lettres à Valence et à Lyon et commença à publier chez le libraire lyonnais Jean Trechsel, dont il devint le correcteur attitré et le conseiller littéraire – et dont il épousa la belle-fille. En 1499, il s’établit à Paris et à partir de 1501 publia à son propre compte. Il poursuivit ses activités d’éditeur scientifique tout en imprimant un grand nombre d’éditions réputées. Son atelier, connu par ses celèbres marques typographiques qui nous donnent la seule représentation à peu près fidèle d’un atelier autour de 1500, était en effet le rendez-vous des humanistes.
Il édita durant toute sa vie des classiques latins ou grecs, en fournissant des commentaires, connus tant par la qualité de leur exécution typographique que par la correction du texte et les commentaires savants. Parmi ses près de 400 publications, figurent aussi bien Ange Politien que Guillaume Budé ou Érasme. Il fonda lui aussi une dynastie : ses quatre filles épousèrent des libraires, dont Robert Estienne et Michel de Vascosan. Son fils Conrad Bade (1510-1568), imprimeur, se convertit au calvinisme et s’établit à Genève.

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