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Le spectacle sportif

Naissance et développement d’un genre nouveau
Courses de vélocipèdes sur le vélodrome Buffalo
Courses de vélocipèdes sur le vélodrome Buffalo

Bibliothèque nationale de France

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En France, le spectacle sportif apparaît, selon les pratiques physiques, entre 1880 et 1914. Il se constitue alors comme un genre nouveau entre les principes sportifs (règles, fédérations, titres, etc.) et la mise en scène spectaculaire propre au théâtre, au cirque et au music-hall. Prenant forme dans le cyclisme puis dans la lutte, la natation, l’athlétisme et la boxe, il s’empare plus tardivement des sports collectifs comme le football et le rugby.

Les spectacles et les sports

Bulletin officiel de l'Union vélocipédique de France
Bulletin officiel de l'Union vélocipédique de France |

Bibliothèque nationale de France

À la fin du 19e siècle, les sports se structurent et s’institutionnalisent sous l’action de trois éléments. D’abord, de nombreuses organisations et fédérations sportives voient le jour comme l’Union Vélocipédique de France en 1881 ou celle d’aviron en 1890. Elles contribuent à règlementer les pratiques en les dotant d’un règlement écrit mais aussi en veillant à leur application dans le cadre des compétitions qu’elles organisent. Localement, la pratique est structurée par des associations et comités d’organisation ; le nombre de pratiquants et de spectateurs augmente. Deuxièmement, la presse sportive connait un véritable âge d’or : selon l’historien Philippe Tétart, pas moins de 561 titres sont lancés entre 1890 et 1910 (soit une moyenne de trente titres par an), dont un tiers à Paris. Certains, comme le quotidien L’Auto (qui deviendra plus tard L’Équipe), comptent parmi les titres les plus vendus en France tandis que les journaux généralistes (Le Figaro, Le Temps) se dotent de rubriques sportives. Troisièmement, des événements, des compétitions et des championnats sont créés ; ils sont de plus en plus nombreux dans diverses pratiques : cyclisme, lutte, natation, boxe, etc. Les sports passent d’une pratique sociale marginale et épisodique à une activité médiatiquement exposée et permanente.

L’Équipe
L’Équipe |

© L’Equipe, 1946

D’autre part, durant cette même période, plusieurs spectacles comme le cirque, le music-hall, le bal, le café-concert, la magie et aussi le cinéma connaissent un succès particulièrement fort au point de concurrencer le théâtre autour de 1900. Certains établissements spécialisés sont alors massivement fréquentés comme les Folies-Bergère, le Casino de Paris, le Moulin Rouge ou le Nouveau Cirque. Leurs programmes s’étoffent et s’hybrident : aux côtés des numéros de voyance, de chant, d’acrobates ou de clowns, des pratiques physiques apparaissent (numéros équestres, de barre fixe, de sauts périlleux à bicyclette). Cette hybridation se manifeste également par l’usage d’un vocabulaire sportif inspiré du monde du spectacle : « boxeurs comiques », « cyclistes jongleurs » faisant des rounds et reprises ou des tours de piste, etc. De plus, ces établissements organisent des exhibitions ou numéros de boxe répétés chaque soir, des démonstrations d’« hommes forts », soulevant des « poids et haltères », ou encore des séances de lutte masculine ou féminine.

Grand championnat du monde des joutes à la lance organisé par le Journal l'Auto
Grand championnat du monde des joutes à la lance organisé par le Journal l'Auto |

Bibliothèque nationale de France

Présentation d’une cavalerie en liberté par Léopold ou Georges Loyal
Présentation d’une cavalerie en liberté par Léopold ou Georges Loyal |

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Grandes luttes aux Folies-Bergère, troupe Pietro
Grandes luttes aux Folies-Bergère, troupe Pietro |

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Grand Prix de lutte de Paris aux Folies-Bergère
Grand Prix de lutte de Paris aux Folies-Bergère |

Bibliothèque nationale de France

Ces attractions inspirées des sports – sans comporter nécessairement de dimension compétitive ou d’incertitude du résultat, qui leur est inhérente – ont tous les attributs des spectacles : billets à prix variés et programmes imprimés, présence d’ouvreuses et d’un speaker, existence d’un vestiaire et d’une buvette, levers de rideau et entractes rythmant la soirée. Le succès de ces spectacles quasi-sportifs est considérable. Autour de 1900, les défenseurs d’un sport pur, fédéral et amateur combattent ces nouveautés mais ne peuvent que constater leur croissante attractivité.


Avant 1914, les premières formes de spectacle sportif

L’entrée des pratiques sportives dans les spectacles populaires coïncide avec l’introduction des modes de fonctionnement du spectacle dans les compétitions sportives. De nombreux pratiquants, organisateurs d’événements ou spectateurs passent et repassent des uns vers les autres, accentuant les échanges et collaborations. Les journalistes jouent ici un rôle clé : engagés dans des périodiques sportifs, souvent eux-mêmes organisateurs et dirigeants de clubs sportifs, ils sont pour la plupart introduits dans le monde du spectacle. C’est ainsi dans les années 1890 que sont mis sur pied les premiers véritables spectacles sportifs dans lesquels s’opère l’alliance entre règlementation sportive et mise en spectacle.

Finale de la Coupe Dubonnet au Vélodrome Buffalo
Finale de la Coupe Dubonnet au Vélodrome Buffalo |

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Les vélodromes, construits sur le modèle des hippodromes, en sont les établissements pionniers. Leurs dirigeants, en collaboration avec des journalistes, créent des épreuves régulières et des courses ponctuelles : Paris-Brest-Paris (1891), Paris-Roubaix (1896) puis Tour de France (1903). Ce mouvement de mise en spectacle des courses cyclistes s’étend progressivement à d’autres pratiques comme l’escrime, la lutte, la natation, la boxe ou encore les poids et haltères. Dès lors, dans ces activités, de nombreux événements adoptent le principe d’une combinaison entre mise en scène spectaculaire et règlementation sportive, le tout placé sous l’égide des fédérations, garantes de la sportivité de la compétition, et de journaux sportifs. Ainsi, les championnats du monde de lutte en 1898 organisés par Le Journal des Sports ; les criteriums de natation du quotidien concurrent Le Vélo lancés la même année ou, en boxe, la coupe de L’Auto de 1907. Ces différents événements connaissent un vif succès à la fois populaire et financier. La présence et l’intérêt de différentes fractions des élites légitiment ce phénomène nouveau. C’est le cas des écrivains André Antoine et Tristan Bernard ou de grands industriels comme Louis Renault et le marquis de Dion. Désormais, le nombre de combats de boxe professionnelle dépasse systématiquement la centaine par an à Paris et les plus grands matches font des recettes colossales, souvent supérieures aux plus fameux numéros des plus grandes salles de spectacle.

Généralisation et accroissement d’un phénomène de masse (années 1920-1930)

Si la Première Guerre mondiale s’accompagne d’un arrêt (plus ou moins prolongé selon les pratiques) des spectacles sportifs de la capitale, leur développement se poursuit, dans toute la France et l’Empire, à partir du début des années 1920. Ils s’étendent à de nouvelles pratiques, alors que le nombre de personnes pratiquant le sport sur le territoire national augmente fortement. Aux côtés des groupements affinitaires ou confessionnels, le principe de l’existence d’une fédération par sport s’impose et confère une plus grande légitimité à ces instances qui, par ailleurs, encouragent la mise en spectacle de leurs compétitions.

Le sport-spectacle est un autre mal, qui progresse avec une rapidité inouïe. Pas une ville, si petite soit-elle, où n’ait lieu presque chaque dimanche une réunion à bureaux ouverts. "Faire recette", attirer le public, tel semble être de plus en plus le grand souci des organisateurs et des dirigeants sportifs

Georges Hébert, Le sport contre l’éducation phyisque, 1925, p. 97

Le succès s’accentuant, certains sportifs bénéficient d’une visibilité et d’une audience particulièrement fortes, renforcées par la photographie de presse et l’essor de la radio. Alors que quelques vedettes sportives existaient déjà avant 1914 – on pense au coureur Jean Bouin, au boxeur Georges Carpentier, ou aux cyclistes Maurice Garin ou Lucien Petit-Breton – ce processus de célébrité s’ouvre aux femmes, la joueuse de tennis Suzanne Lenglen en tête. Il s’étend aussi, plus modestement, aux sports collectifs, notamment au football, qui se professionnalise en 1932 avec l’organisation du tout premier championnat professionnel, ancêtre de la Ligue 1. Les vedettes contribuent à renforcer le spectacle sportif et sa commercialisation : leur vie attire l’attention et une véritable économie se met en place autour de leur image, de leurs performances et de leur mode de vie.

L’envergure et les dispositifs intégrés aux établissements sportifs prennent une ampleur sans précédent, notamment à la suite des Jeux olympiques de Paris en 1924. La France se couvre de stades, de circuits automobiles, de piscines et de salles polyvalentes. Le Vélodrome d’Hiver, dit Vel d’hiv’, fondé en 1909, en est une des plus prestigieuses. Resté tristement célèbre pour la Rafle de 1942, cet établissement accueillait les plus grands combats de boxe, l’annuelle Course des Six Jours, l’un des événements sportifs les plus suivis, ou encore des matches de hockey sur glace dans les années 1930. Après travaux, il devient en 1931 le Palais des Sports, géré par le promoteur Jeff Dickson et propriété du journal L’Auto. Les investissements consentis pour le créer et le faire fonctionner, son toit ouvrant, sa capacité d’accueil mais aussi ses dispositifs techniques ou encore sa programmation trois cents jours par an font entrer le spectacle sportif dans une ère de démesure qui s’est prolongée jusqu’à nos jours. Avant l’avènement de la télévision dans les années 1960, le Palais des Sports sert de modèle aux autres salles et organisations de spectacles sportifs.

S’il est clair que, dès l’apparition du champ sportif, ses promoteurs ont multiplié les actions pour qu’il soit vu par le plus grand nombre, le spectacle sportif s’est véritablement développé autour de 1900. Cet essor résulte des concurrences et convergences entre champ sportif et univers des spectacles. La spectacularisation des sports n’est donc pas une récente dégradation résultant de l’accentuation des sommes d’argent engagées, mais plutôt un processus plus que centenaire de médiatisation et d’hybridation avec les spectacles populaires.

Provenance

Cet article a été rédigé en 2024.

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