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Rousseau, juge de Jean-Jacques

Jean-Jacques Rousseau
Les Dialogues ou Rousseau juge de Jean-Jacques
Les Dialogues ou Rousseau juge de Jean-Jacques

Bibliothèque nationale de France

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Dans les dernières années de sa vie, retiré à Ermenonville, persuadé d'être l'objet de multiples complot, Rousseau se livre à l'exploration de son être et de sa conscience. Les Dialogues ou Rousseau juge de Jean-Jacques, constituent un fascinant dialogue avec soi-même.

Depuis les premiers écrits, l'œuvre de Rousseau se développe continûment, sans rupture entre la recherche du musicien, la rêverie mythique du philosophe dans le Discours sur l'origine et le fondement de l'inégalité de l'homme, publié en 1755, et les Rêveries du promeneur solitaire, ultimes méditations sur les bienfaits de l'état de Nature, que la mort laisse inachevées. Les quelque quinze années où il fut seulement « auteur » et où le succès, culminant en 1760-1762 avec La Nouvelle Héloïse, Le Contrat social et L'Émile, fut tôt balayé par les condamnations des Églises et du Parlement, par les persécutions réelles et plus encore obsessionnelles qu'il éprouva, ont généré un renoncement définitif à l'écriture dans le siècle, un retour au « moi », au vécu de l'existence, le meilleur garant de la solidité du raisonnement philosophique, du « système », dira-t-il, qui a régi toute sa vie.

Dans cette quête éperdue de justification que constituent les trois œuvres dites autobiographiques, restées inédites de son vivant, les Dialogues, écrits de 1772 à 1776, occupent l'espace délirant du « complot » qui le contraint un temps à devenir un autre, « Monsieur Renou ». Au paroxysme de l'angoisse, lorsque la lecture des Confessions à ses amis lui a révélé la faillite de ce projet, l'impossible appréhension de son être en une connaissance universelle de l'homme, Rousseau tente de percer « le mur des ténèbres » qui l'enclôt en un hallucinant dialogue à deux, à trois voix : le « Français », porte-parole de la Nation mensongère qui a condamné sans appel le « monstre », dont les agissements démentent quotidiennement les vertus prônées dans les œuvres, et Rousseau, l'interlocuteur lucide, seul à même de faire renaître tel qu'en lui-même Jean-Jacques, le grand absent omniprésent, le « je » étouffé par le « complot » ourdi contre lui, et dont les œuvres assureront la pérennité.

Rousseau apportant le manuscrit des Dialogues à Notre-Dame de Paris
Rousseau apportant le manuscrit des Dialogues à Notre-Dame de Paris |

Bibliothèque nationale de France

Cette profession de foi pathétique, à l'incohérence construite avec la rigueur des grands textes historiques, l'auteur lui réservait un sort exceptionnel. Le 24 février 1776, il voulut en déposer la « mise au net » sur le maître-autel de Notre-Dame, dans une enveloppe portant une longue suscription : « Dépôt remis à la Providence ». Ayant trouvé les grilles du chœur fermées, Rousseau vit là un « bienfait du ciel », une incitation à confier son dépôt à un homme de bien, Condillac, à charge de transmettre aux générations futures le message que son siècle ne pouvait entendre. À la mort de Condillac, en 1780, le manuscrit fut remis par la nièce de celui-ci à l'hospice de Beaugency, où il fut conservé jusqu'en 1879.

Publiés dans leur intégralité dès 1782, grâce à trois copies autographes postérieures, Les Dialogues ou Rousseau juge de Jean-Jacques ont trouvé en cette seconde moitié du 20e siècle d'ardents exégètes, Jean Starobinski, Michel Foucault... et un dépositaire providentiel : c'est le manuscrit mythique de Notre-Dame, jalousement préservé par deux grands collectionneurs, qui est entré dans les collections de la Bibliothèque nationale de France.

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015).

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