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Qu'est-ce qu'un héros ?

Sceau-cylindre, Gilgamesh domptant un taureau
Sceau-cylindre, Gilgamesh domptant un taureau

Bibliothèque nationale de France

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Le héros est né avec la littérature. Gilgamesh, roi civilisateur d’Uruk, en Mésopotamie, donne son nom à la plus ancienne épopée connue. Les exploits du héros – qu'ils soient chantés, écrits, gravés ou peints – le font exister et perdurer dans la mémoire humaine.
Achille, Alexandre le Grand, Roland, Lancelot, Condé, Jeanne d’Arc, Napoléon, Jean Moulin, De Gaulle, Che Guevara, James Bond, Jimi Hendrix, Superman, Zidane… autant de figures qui éclairent la « fabrique du héros » dont la fonction sociale et imaginaire est essentielle : c'est à travers un individu, un acte, une mémoire que se façonne le monde occidental.

Comment et pourquoi les civilisations humaines construisent-elles des personnages si exceptionnels que leurs hauts faits demeurent dans les mémoires, alors même que les circonstances historiques s’effacent ? Thésée tue le Minotaure, Alexandre tranche le noeud gordien, Vercingétorix s’oppose à César, de Gaulle lance l’Appel du 18 juin… : le héros est d’abord un homme d’action. Il surgit lorsque la communauté risque de régresser vers le chaos, a besoin de refaire son unité ou de tenter l’impossible. Non dénué d’ambiguïtés, son statut est toujours paradoxal : dieu pour les hommes mais homme pour les dieux. Oscillant entre le religieux et le laïc, le héros participe de la condition humaine tout en la dépassant ; il a besoin de la violence et de la guerre pour établir l’ordre et la paix.

Sceau-cylindre, Gilgamesh domptant un taureau
Sceau-cylindre, Gilgamesh domptant un taureau
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Bibliothèque nationale de France

Définitions du mot « héros »

L’étymologie du mot « héros » est obscure mais évoque cette ambivalence du service et du commandement, de celui qui protège et fait la guerre. Le mot grec hêrôs chef de guerre » chez Homère, « demi-dieu » chez Hésiode) est passé au latin classique avec le sens de demi-dieu puis d’homme de valeur supérieure. Il n’entre dans la langue écrite française que vers 1370 pour désigner toujours un demi-dieu puis un individu qui se distingue par ses exploits ou un courage extraordinaire, particulièrement dans le domaine des armes. À l’époque moderne, la polysémie du terme se renforce avec le sens d’homme digne de l’estime publique et de personnage principal d’une œuvre littéraire (1650). Le terme d’« héroïne » apparaît en 1540 pour désigner une femme d’un grand courage, qui fait preuve de « force d’âme ». Ces définitions, toujours actuelles, sont révélatrices du clivage des sexes organisé autour de cette notion : au masculin, le héros est lourdement lesté par la bravoure guerrière ou « la force de caractère » tandis qu’au féminin, l’héroïne hérite d’une « force d’âme » à la valeur moins consistante. Si les femmes eurent accès à la sainteté, furent transformées en allégories ou en célébrités, leur héroïsation fut, au cours de l’histoire, toujours problématique. On mesure alors le caractère exceptionnel de la construction du personnage de Jeanne d’Arc en tant qu’héroïne nationale en France aux 19e et 20e siècles.

Une approche historique

Le héros est l’objet d’une construction, le produit d’un discours, d’une « héroïsation », qui révèle, à travers des actes exceptionnels, les valeurs d’une civilisation. Dans des sociétés anciennes où la guerre était un état fréquent, voire normal, le héros guerrier incarnait l’excellence. La christianisation de la société l’obligea à composer avec des figures proches (le sage, le saint) avant que l’humanisme, au 16e, la raison et le roi, au 17e, les Lumières, au 18e, n’aient raison de sa morale, de sa caste et de ses violences en l’enfermant dans la littérature et en lui préférant le grand homme. Les bouleversements politiques engendrés par la Révolution, la création de la nation réhabilitent les actes du héros parce qu’ils sont exemplaires. En France, celui-ci contribue à fonder la patrie et l’enjeu majeur devient la place qu’on lui réserve dans la mémoire nationale. La violence de masse de la Première Guerre mondiale le transforme en victime, mais la concurrence idéologique qui règne dans l’entre-deux-guerres réactive l’instrumentalisation des héros. La figure du résistant est devenue en France la dernière incarnation du héros national. Ses recompositions actuelles, sous la forme du sportif notamment, témoignent de la « starification » d’un personnage soumis par les nouveaux vecteurs d’héroïsation à une usure rapide. Le déclin des héros politiques (mineurs, figures messianiques) au profit des héros fictifs (personnages de cinéma, de bande dessinée, de la télévision) ne doit pas masquer la permanence du « désir d’être Dieu ». Si nous pouvons nous réjouir, en France, de la disparition de héros historiques, signe de l’éloignement relatif des guerres et des dictatures, nous rêvons toujours de figures de l’excellence qui tentent de concilier héroïsme et humanisme et qui distingueraient un modèle d’une image.

Provenance

Cet article provient du site Héros (2007)

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