Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

Julien Gracq en habits verts

Summer red bird
Summer red bird

Bibliothèque nationale de France

Le format de l'image est incompatible
Julien Gracq a été Louis Poirier jeune rural qui a vécu dans un bourg vendéen Saint-Florent-le-Vieil. Ce lieu qui est resté tout au long de sa vie un séjour aux bords de la Loire. Cette sédentarité a été une école de plein air : les humeurs du fleuve, les vents de l’Atlantique proche, la flore sauvage et cultivée (il possédait des vignes), la faune, notamment les oiseaux en ont fait un naturaliste. C’est-à-dire quelqu’un qui a pratiqué la biodiversité, sans mot d’ordre. Il comprenait Linné aussi bien que Littré.

Je me fais de l’homme l’idée d’un être constamment replongé  si vous voulez,  l’aigrette terminale, la plus fine et  la plus sensitive, des filets nerveux de la planète.

Julien Gracq,Les Yeux bien ouverts, 1961

La lecture de ses livres de fiction ou de fragments montre un auteur qui observe et comprend la nature, il a sur ce point bien des liens avec l’autre Ligérien, de l’amont, Maurice Genevoix. Ces très bons élèves du primaire au supérieur (l’ENS a des élèves et non des étudiants) avaient suivi les cours de sciences naturelles, ils avaient croisés ces connaissances avec leurs observations campagnardes, travaux pratiques à domicile.

Ils avaient constaté, par leurs longues vies, que la société technique avait introduit dans l’ordre dit naturel des aménagements, des machines, des produits , qui constituaient, sinon des risques, du moins des séquelles sur les cycles de l’eau et du vivant.

Chevelu hydrographique dessiné à main levé par Louis Poirier.
Chevelu hydrographique dessiné à main levé par Louis Poirier. |

© Bulletin de l’Association de géographes français

Mais Gracq est aussi Poirier, géographe de terrain et aussi de réflexion, en ce sens il se distingue de M. Genevoix. En 1947  il publie dans Critique revue plutôt philosophique un texte sur « L’évolution de la géographie humaine » dans lequel il analyse les transformations du rapport entre la nature et nos sociétés industrielles lancées dans les travaux de reconstruction et de modernisation d’après-guerre :

« Il n'y a pas pour l'homme de milieu physique pur  les déterminations issues du milieu physique ne peuvent nous parvenir que réfractées de la façon la plus complexe à travers des lames superposées de vie historique et de civilisation. »

Il propose d’appeler ce moment (cette ère ?) le « quaternaire historique ». Homo sapiens se double d’un Homo faber compulsif qui transforme la face de la terre. Cette conscience du moment prométhéen, préfigure la notion d’anthropocène. Le promeneur de St Florent, le « routard » de la France, le visiteur des États-Unis ne manque pas de repérer à la fois les signes de la nature et ceux que l’impitoyable aujourd’hui lui inflige. Par les paysages il est en face de la terre, mais il ne manque pas d’être aussi en phase avec elle, par le cycle de l’eau, les formes multiples de la vie animale et végétale, la faune amphibie de l’estran de Sion qu’il arpente à marée basse. Nabokov avait un filet à lépidoptères, Gracq exerçait un regard à la fois clinique et poétique sur ce vivant si proche et si vulnérable.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Julien Gracq, la forme d'une œuvre présentée à la BnF du 11 juillet au 3 septembre 2023.

Lien permanent

ark:/12148/mmrp7vfn4ndb4