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Brève histoire des lieux du théâtre

Le spectateur
Le spectateur

Bibliothèque nationale de France

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Dès sa naissance en Grèce autour du 5e siècle avant J.-C., le théâtre occidental se conçoit comme un espace politique, au sens où les représentations qu’on y donne sont l’occasion de se réunir et de réfléchir à la polis, la cité. Cet idéal démocratique se reflète dans l’organisation spatiale de la représentation.

Théâtres antiques et idéal démocratique

En Grèce antique

Théâtre d'Épidaure
Théâtre d'Épidaure |

Bibliothèque numérique de l’Institut Catholique de Paris

Le théâtre grec, d’abord à caractère religieux, est rapidement pensé comme un outil de démocratie. Tous les citoyens ont accès au théâtre : il est financé par les citoyens riches, les frais d’entrée servent à payer son entretien et les spectateurs les plus pauvres peuvent entrer gratuitement. Il est à la fois lieu de divertissement et d’enseignement.

Le « theatron » désigne alors l’espace réservé au public, il s’agit du « lieu d’où l’on voit ». Il peut contenir jusqu’à 15 000 spectateurs. Or, même si les classes sociales ne se mélangent pas dans les gradins (les notables et jurés sont placés devant, les femmes et autres spectateurs sont placés plus en hauteur), l’architecture des théâtre grecs répond toujours à l’impératif de permettre à chacun de voir et d’entendre le spectacle.

Le théâtre grec du 5e siècle, en hémicycle, est toujours aménagé en plein air dans un lieu naturel présentant de bonnes propriétés acoustiques, tels que des flancs de colline. Les acteurs psalmodient leur texte et la forme de leur masque sert de porte-voix.

Sans entrer trop en détails dans la question de l’acoustique des théâtres, on peut montrer aux élèves que, peu importe la place occupée dans les gradins, on voit et on entend le spectacle. 

Dans la Rome antique

Le théâtre antique d'Orange
Le théâtre antique d'Orange |

Bibliothèque nationale de France

Les Romains développent un art dramatique propre (farces, satires, attelanes…), qui prend d’abord place dans des espaces nomades et démontables. Lors de la conquête de la Sicile en 241 av. J.-C., ils importent et s’approprient le théâtre grec en l’intégrant aux divertissement des ludi, temps de divertissement des masses. Même si les notables font de l’otium (le temps de repos, « condition nécessaire à l’exercice de l’esprit » — Jacques Brunschwig, Les Stoïciens, Paris : Gallimard, p. 694) un temps de raffinement intellectuel, les jeux et autres spectacles donnés sous la Rome antique existent avant tout pour distraire le peuple. Les spectacles ont lieu dans un cadre politique, au sens où l’on cherche à s’attirer la sympathie des foules en lui offrant un divertissement, mais on ne vient pas au théâtre pour réfléchir aux problèmes de l’Empire.

Le premier théâtre romain en pierre est construit par Pompée, au milieu du 1er siècle av. J.-C. . On reprend alors l’architecture grecque de l’hémicycle et on l’optimise pour le confort des spectateurs. Les théâtres sont bâtis à l’intérieur des villes, ce qui en facilite l’accès et le public est protégé des désagréments du plein air par un velum. Si tout le monde peut avoir accès au théâtre, les classes sociales doivent cependant rester bien distinctes.

La cavea, nom donné alors à l’espace des gradins, est divisée en plusieurs sections de gradins, les maeniana, grâce aux escaliers. Chaque classe sociale est ainsi séparée des autres lors du spectacle et celles-ci ne se croisent pas au moment de s’installer ou de sortir grâce aux galeries et vomitoires qui permettent de rejoindre directement sa maenianum. Il pourra être intéressant de faire remarquer aux élèves que ce système perdure aujourd’hui dans l’architecture des stades, permettant ainsi une gestion plus sécurisée des foules.

Le théâtre de Bacchus à Athènes et un théâtre romain
Le théâtre de Bacchus à Athènes et un théâtre romain |

Bibliothèque nationale de France

Le théâtre au Moyen Âge et à la Renaissance : du parvis aux tréteaux

Après la chute de l’Empire romain, le théâtre n’est plus aussi prisé et les édifices dédiés aux spectacles antiques sont utilisés à des fins surprenantes. Les constructions d’Arles et de Nîmes se transforment à plusieurs reprises en villages fortifiés pour faire face aux invasions et conservent parfois des lieux d’habitation jusqu’au 19e siècle, où on les utilise comme des carrières de pierre. Du Moyen Age au 16e siècle, le théâtre s’imposera dans des lieux qui ne lui sont pas destinés, organisant ses représentations en fonction des espaces à sa disposition.

Au Moyen Âge : mystères et farces

Au Moyen Âge, Le théâtre renaît au sein des institutions chrétiennes qui l’avaient condamné lors de l’avènement du christianisme, et se joue tout d’abord dans les églises. Espace scénique et espace sacré se confondent alors. On joue des drames liturgiques pour enseigner l’histoire religieuse au plus grand nombre. D’abord en latin, ces pièces intègrent progressivement le langage vernaculaire des populations et sortent sur le parvis des églises puis sur les places publiques. On commence à traiter de sujets en marge des écritures puis de faits divers résolus par l’intervention divine d’un saint : ce sont les « mystères » du 15e siècle, dont l’étymologie ne fait pas référence aux mystères de la Foi, mais au ministerium, le service public. Comme dans sa forme antique, il s’agit donc toujours d’éduquer et de divertir le peuple.

On conserve peu de trace de ce théâtre en plein air qui avait principalement lieux aux alentours des dates importantes du calendrier chrétien et dont les dispositifs scéniques varient en fonction du lieu et de l’histoire représentée. L’enluminure de Jean Fouquet représentant le martyre de Saint Apolline montre que l’espace scénique s’y organise de manière circulaire autour d’un espace de jeu où se trouvent des loges accueillant le public où certains groupes d’acteurs.

Sainte Apolline
Sainte Apolline |

© R.-G. Ojeda, RMN / musée Condé, Chantilly

Une Kermesse flamande
Une Kermesse flamande |

Domaine public

Ces mystères sont bientôt entrecoupés de farces, des interludes comiques et improvisés, qui échappent au contrôle de l’église. On joue également des soties, de courtes satires qui traitent de l’actualité. Les farces voyagent hors des villes, au gré des foires, et des planches sont installées sur des tréteaux en guise de scène. Le tableau de Pieter Balten, met en évidence que les conditions de représentation n’ont rien à voir avec celles d'aujourd’hui : le public prend part au spectacle tout en poursuivant ses activités de commerce ou de loisir et les comédiens interagissent et improvisent au besoin face à la demande des spectateurs.

Des espaces dédiés à la Renaissance

À la fin du 16e siècle, marqué par les profondes mutations apportées par la Renaissance, le théâtre s’établit à nouveau dans des lieux fixes. Désormais, les acteurs entendent être rémunérés pour leurs performances : il faut donc jouer dans des lieux clos où l’on pourra faire payer l’entrée. C’en est fini du théâtre pour tous pendant les jours de fête : on joue tous les jours et pour un public qui a les moyens.

On cite souvent l’Hôtel de Bourgogne comme le premier théâtre « à la française ». Le schéma proposé par André Degaine, qu’on retrouve souvent dans les manuels scolaires, est assez éclairant. Pour faire comprendre aux élèves l’ambiance qui régnait dans ce théâtre, on peut accompagner le schéma de la didascalie initiale du Cyrano de Bergerac d'Edmond Rostand :

« Sorte de hangar de jeu de paume aménagé et embelli pour des représentations.
La salle est un carré long ; on la voit en biais, de sorte qu’un de ses côtés forme le fond qui part du premier plan, à droite, et va au dernier plan, à gauche, faire angle avec la scène, qu’on aperçoit en pan coupé.
Cette scène est encombrée, des deux côtés, le long des coulisses, par des banquettes. Le rideau est formé par deux tapisseries qui peuvent s’écarter. Au-dessus du manteau d’Arlequin, les armes royales. On descend de l’estrade dans la salle par de larges marches. De chaque côté de ces marches, la place des violons. Rampe de chandelles.
Deux rangs superposés de galeries latérales : le rang supérieur est divisé en loges. Pas de sièges au parterre, qui est la scène même du théâtre ; au fond de ce parterre, c’est-à-dire à droite, premier plan, quelques bancs formant gradins et, sous un escalier qui monte vers des places supérieures, et dont on ne voit que le départ, une sorte de buffet orné de petits lustres, de vases fleuris, de verres de cristal, d’assiettes de gâteaux, de flacons, etc.
Au fond, au milieu, sous la galerie de loges, l’entrée du théâtre. Grande porte qui s’entre-bâille pour laisser passer les spectateurs.
 »

Une telle architecture permet, une fois encore, de séparer les classes sociales : les moins fortunés restent debout, se déplaçant sur le parterre ou allant s’assoir au fond, loin de la scène, sur les gradins. Les plus riches, eux, prennent place dans les loges ou sur les banquettes le long de la scène. Comme le montre la première scène de Cyrano, la lumière reste allumée dans la salle tout le long du spectacle et le public est libre de discuter et de se promener.

Représentation du premier acte de Cyrano de Bergerac au théâtre de la Porte Saint-Martin en décembre 1897
Représentation du premier acte de Cyrano de Bergerac au théâtre de la Porte Saint-Martin en décembre 1897 |

Bibliothèque nationale de France

En parallèle, et notamment en 4e si les élèves abordent Roméo et Juliette de Shakespeare dans l’objet d’étude « Dire l’amour », on peut leur faire découvrir l’architecture si particulière du Théâtre du Globe à Londres et organiser une séance commune avec le professeur d’anglais. Une rapide étude de l’architecture du lieu montrera qu’il existe des origines communes avec le théâtre de tréteaux français (pas de rapport frontal, jeu au milieu des activités du publics) et avec ce qu’est devenu le théâtre français (personnes riches dans les loges et « puants » debout devant la scène qui intervient tout au long de la pièce). Mais contrairement au théâtre français, le théâtre élisabéthain vit encore aujourd’hui et conserve des traces de cette atmosphère si particulière. Le comédien Huntly-Turner, qui a pu expérimenter les conditions de représentation de ce théâtre dans la reconstitution qui en a été faite à Sydney, dit d’ailleurs que la représentation se rapproche plus d’un match de football que d’une pièce traditionnelle de théâtre.

En France cependant, le modèle anglais ne sera pas celui choisi.

Le théâtre à l'italienne : le monopole de la boîte à images

Salle Richelieu de la Comédie-Française
Salle Richelieu de la Comédie-Française |

© Daniel Cande

De tous ces modèles d’architecture théâtrale, c’est celui « à l’italienne » qui va s’imposer durablement en Europe. Le théâtre, qui devait s’accommoder des contraintes imposées par les lieux qu’on voulait bien lui laisser occuper, devient progressivement « un lieu conçu par des architectes créant un rapport fixe entre la scène et la salle, soucieux d'organiser la réception en fonction de critères donnés comme intangibles », explique D. Bablet dans Le lieu théâtral dans la société moderne.

On recherche désormais la perspective réaliste, transformant la scène en une boîte à images où seul existe un rapport frontal entre le public, installé dans une disposition de fer à cheval, et la scène. Les spectateurs aisés sont installés dans des loges privatives où ils peuvent s’enfermer er recevoir comme bon leur semble. Les balcons accueillent les bourgeois et les mondains, tandis que les plus pauvres restent debout au parterre ou s’entassent dans les balcons les plus hauts, les poulaillers. La vue sur la scène et le confort du spectateur dépendent encore une fois de sa classe sociale, car si l’acoustique est bonne, André Degaine estime que « la visibilité parfaite n’est obtenue qu’à concurrence de 60 % » dans une salle à l’italienne. Cette hiérarchie s’exhibe à la vue de tous, puisqu’une fois encore, la lumière reste allumée pendant l’ensemble de la pièce. On va au théâtre pour voir mais surtout pour être vu.

Quant aux comédiens, ils se retrouvent isolés du public sur leur scène cubique, leur voix doit passer la rampe pour porter dans la salle et ils doivent grossir leur jeu pour être visibles par le plus grand nombre. Le développement des machines permet de fermer entièrement la scène grâce au grand panneau de toile que l’on peut descendre aisément. Il en va de même avec les décors.

Pour faire étudier cette salle à des élèves, on peut utiliser le plan actuel de la salle Richelieu de la Comédie française, couplé à quelques images, comme celles du photographe Daniel Cande. En observant les photographies et les codes couleur du plan et la numérotation partant du centre, aux élèves de deviner où se trouvent les meilleures place (et les plus chères).

Si le répertoire évolue au fil du temps et donne naissance au théâtre bourgeois, le modèle de la scène à l’italienne, lui, restera dominant en France jusqu’à la fin du 19e siècle.

Le temps des metteurs en scène et du théâtre populaire

Un renouveau théâtral s'amorce à la fin du 19e siècle. S’impose alors ce qu’André Degaine appelle « Le temps des metteurs en scène », qui entendent bousculer les codes du théâtre et ses lieux. Les artistes commencent par rénover les salles (André Antoine, à l’Odéon, supprime 300 places qu’il considère comme inutiles car présentant trop peu de visibilité ; il aménage aussi l’orchestre en pente). Chaque metteur en scène rêve son théâtre idéal et les expérimentations fleurissent un peu partout. Comme le résume D. Bablet dans Le lieu théâtral dans la société moderne, « l’espace théâtral ne se donne plus comme un espace unique, mais apparaît comme soumis aux besoin esthétiques de chaque création », à moins que les metteurs en scène n’investissent des lieux n’ayant jamais été prévu pour du théâtre et inscrivent leur pièce dans ces espaces alternatifs.

Dans la variété des projets voyant le jour, on retrouve toujours une préoccupation commune : repenser la relation au public et les rapports au sein des troupes dans un idéal égalitaire et populaire. Ainsi, au théâtre de Bussang, ou Théâtre du Peuple, le fond de la scène s’ouvre sur la forêt vosgienne, renouant ainsi avec le théâtre en plein air, et amateurs et professionnels jouent ensemble. Le théâtre du Soleil, lui, investit l’ancienne Cartoucherie de Vincennes, où les comédiens se préparent à vue. Chacun gagne le même salaire, tout le monde s’occupe du placement des spectateurs et l’on mange ensemble avant la pièce.

Théâtre de Bussang
Théâtre de Bussang |

Bibliothèque nationale et universitaire de Strasbourg

Le Théâtre de la Ville, ancienne salle à l’italienne, est aussi entièrement rénové par les architectes Valentin Fabre et Jean Perrotet. Dans une interview pour Télérama, ils reviennent sur les idéaux qui ont présidé à sa nouvelle architecture : « Dans ce vieux théâtre Sarah-Bernhardt construit face au Châtelet par Eugène Davioud sous le second Empire, on a tout évidé. Il ne restait que les quatre murs. […] C'était un mauvais théâtre : sur les treize cents fauteuils, près de cinq cents n'offraient qu'une vue partielle de la scène, et un torticolis en fin de soirée...» En regardant le plan actuel de la salle du Théâtre de la Ville, on se rapproche davantage des lieux actuels fréquentés par les élèves, qui ne manqueront pas de faire des liens avec les salles de cinéma.

Ainsi, lorsque les élèves étudient une pièce de théâtre, il semble intéressant d’interroger ses conditions de représentation. En replaçant le spectacle dans son contexte et en donnant à voir la multiplicité des lieux dramatiques, les élèves seront plus à même d’interroger les choix de mise en scène des pièces auxquelles ils assisteront, voire d’interroger leurs propres choix lors de leur pratique théâtrale.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre du parcours pédaogique « Le théâtre, un lieu pour voir et être vu ».

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