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Berlioz en ses enregistrements

Saltarello romano
Saltarello romano

Bibliothèque nationale de France

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Avec plus de 10 000 références dans les collections publiques françaises, la phonographie de Berlioz donne une vue à la fois large et partiale de ses compositions. En effet, les enregistrements du 20e siècle reflètent les évolutions dans la réputation et l’interprétation des œuvres de Berlioz, avec une nette préférence pour les œuvres symphoniques. Petit voyage à travers ces enregistrements historiques…

Symphonie fantastique (1830)

4e mouvement : « Marche au supplice »

Ayant acquis la certitude que son amour est méconnu, l’artiste s’empoisonne avec de l’opium. La dose de narcotique, trop faible pour lui donner la mort, le plonge dans un sommeil accompagné des plus horribles des visions. Il rêve qu’il a tué celle qu’il aimait, propre exécution. Le cortège s’avance aux son d’une marche tantôt sombre et farouche, tantôt brillante et solennelle, dans laquelle un bruit sourd de pas grave succède sans transition aux éclats les plus bruyants. À la fin de la marche, les quatre premières mesures de l’idée fixe reparaissent comme une dernière pensée d’amour interrompue par le coup fatal.

Miss H. Smithson in the caracter of Ophelia
Miss H. Smithson in the caracter of Ophelia |

Bibliothèque nationale de France

La première symphonie de Berlioz, la Symphonie fantastique, est aussi son œuvre la plus connue.
Écrite en 1830, et révisée jusqu’en 1832, elle est inspirée en partie d’épisodes amoureux de la propre vie de Berlioz, ce qui peut expliquer son sous-titre, Épisode de la vie d’un artiste.

Cette symphonie est une œuvre « à programme » : elle est introduite par un texte qui raconte les événements exprimés par la musique. Berlioz est l’auteur de ce texte dans lequel il s’inspire, entre autres, de Chateaubriand et raconte l’histoire amoureuse d’un jeune musicien, « affecté de cette maladie morale qu’un écrivain célèbre appelle le vague des passions ». Les cinq mouvements de l’œuvre suivent le récit de sa passion pour « une femme qui réunit tous les charmes de l’être idéal que rêvait son imagination ».

Avec le quatrième mouvement, « Marche au supplice », commence une partie de la symphonie grandement inspirée par le romantisme noir : « ayant acquis la certitude que son amour est méconnu, l’artiste s’empoisonne avec de l’opium. La dose de narcotique, trop faible pour lui donner la mort, le plonge dans un sommeil accompagné d’horribles visions. Il rêve qu’il a tué celle qu’il aimait, qu’il est condamné, conduit au supplice, et qu’il assiste à sa propre exécution  . Le cauchemar continue dans le dernier mouvement, « Songe d’une nuit de sabbat » : « il se voit au sabbat, au milieu d’une troupe affreuse d’ombres, de sorciers, de monstres de toute espèce, réunis pour ses funérailles. […] La mélodie aimée reparaît encore, mais elle a perdu son caractère de noblesse et de timidité : ce n’est plus qu’un air de danse ignoble, trivial et grotesque. »

La Symphonie fantastique fut créée le 5 décembre 1830 à la Salle du Conservatoire sous la direction d’Habeneck.

Harold en Italie (1834)

Cette « deuxième » symphonie de Berlioz se compose de quatre mouvements : « Harold aux montagnes. Scènes de mélancolie, de bonheur et de joie », « Marche de pèlerins chantant la prière du soir', « Sérénade d’un montagnard des Abruzzes à sa maîtresse », « Orgie de Brigands. Souvenirs des scènes précédentes ».

Harold en Italie
Harold en Italie |

Bibliothèque nationale de France

À la demande de Paganini enthousiasmé par une audition de la Symphonie fantastique, Berlioz avait d’abord esquissé un solo d’alto « combiné avec l’orchestre de façon à ne rien enlever de son action à la masse instrumentale » et annoncé sous le titre « Les derniers instants de Marie Stuart ». Désappointé par les silences de l’alto dans le premier mouvement, Paganini renonce. Berlioz poursuit « dans une autre intention » : « J’imaginais d’écrire pour l’orchestre une suite de scènes auxquelles l’alto solo se trouverait mêlé comme un personnage plus ou moins actif conservant toujours son caractère propre ; je voulus faire de l’alto, en le plaçant au milieu des poétiques souvenirs que m’avaient laissés mes pérégrinations dans les Abruzzes, une sorte de rêveur mélancolique dans le genre du Childe Harold de Byron. »(Mémoires, XLV.) De fait, le thème d’Harold réapparaît dans chaque mouvement et nourrit les développements thématiques. Dans la « Sérénade », le thème initial s’inspire d’une mélodie populaire italienne.

La Marche des pèlerins est construite sur un thème répété ostinato, ponctué au début et à la fin par la harpe. Berlioz a cherché à traduire par son orchestration et par le jeu des nuances un effet d'éloignement. Harold en Italie fut créé sous la direction de Narcisse Girard le 23 novembre 1834 dans la salle du Conservatoire avec Chrétien Urhan à l’alto.

Requiem ou Grande Messe des morts (1837)

La Grande Messe des morts est composée sur une commande que le Ministère de l’Intérieur passe à Berlioz en mars 1837. Le 29 juin 1837, la partition est terminée. D’abord prévue pour l’anniversaire de la révolution de 1830, en juillet, l’exécution de l’œuvre est en fin de compte programmée pour le mois de décembre, en l’honneur du général Damrémont, mort au siège de Constantine.

Le 5 décembre a lieu la première exécution aux Invalides, sous la direction d’Habeneck. La partie de ténor solo dans le Sanctus est chantée par le grand soliste Gilbert Duprez.

Église des Invalides
Église des Invalides |

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Le succès de Berlioz est immense. Comme il l’écrit à son ami Humbert Ferrand le 17 décembre : « L’impression a été foudroyante sur les êtres de sentiments et d’habitudes les plus opposées [...] ; au moment du Jugement dernier, l’épouvante produite par les cinq orchestres et les huit paires de timbales accompagnant le Tubamirum ne peut se peindre ; une des choristes a pris une attaque de nerfs. Vraiment, c’était d’une horrible grandeur. »

Si la Grande Messe des morts, destinée être jouée sous la coupole des Invalides, possède les caractéristiques grandioses de ce que Berlioz appelait sa « musique architecturale », elle est aussi construite sur des contrastes entre le monumental et l’intime. Le mouvement « Hostias » présente un des effets acoustiques les plus remarquables de Berlioz : « Le son des Flûtes, séparé de celui des Trombones par un intervalle immense, semble être ainsi la résonance harmonique suraiguë de ces pédales, dont le mouvement lent et la voix profonde ont pour but de redoubler la solennité des silences dont le chœur est entrecoupé » (Grand Traité).

Roméo et Juliette (1839)

Programme imprimé de Roméo et Juliette
Programme imprimé de Roméo et Juliette |

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La troisième symphonie de Berlioz, révolutionnaire dans la forme et dans l’écriture, tient de la symphonie et de l’opéra. Berlioz confie à l’orchestre et non au chœur les moments les plus chargés d’émotion (Tristesse de Roméo).
Le drame se joue en sept parties, «La Reine Mab, ou la fée des songes » formant la quatrième partie.
Le Scherzo de la reine Mab évoque les grands scherzos des symphonies beethovéniennes mais avec un usage très virtuose des techniques d'instruments qui est resté inégalé.
Pour créer une atmosphère d'irréalité grâce à la couleur orchestrale, Berlioz écrit pour les violons de longs passages en sons harmoniques qu'il souhaite très faibles et utilise de nouveaux instruments comme les cymbales antiques.

Les Nuits d'été (1841)

Absence, mélodie avec accompagnement d’orchestre
Absence, mélodie avec accompagnement d’orchestre |

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Absence fait partie des Nuits d'été, six mélodies écrites en 1840-1841, qui représentent incontestablement un sommet de l'art de la mélodie française.
Contrairement à Irlande, on sait peu de choses sur la genèse des Nuits d'été. Dans le recueil de Théophile Gautier intitulé La Comédie de la mort, Berlioz choisit quelques poèmes – Villanelle, Le Spectre de la rose, Sur les lagunes, lamento, Absence, Au cimetière, clair de lune, L'Ile inconnue, barcarolle- dont il retient les strophes essentielles. A l'exception d'Absence que Berlioz « instrumente  » en Allemagne pour sa compagne Marie Recio, les autres mélodies ne recevront une vêture orchestrale qu'en 1856.
Sur le plan formel, la première strophe du poème est utilisée comme un refrain mais surtout comme un appel obsédant et vain déclamé en une ligne mélodique ample.
En contrepartie, les deuxième et troisième strophes du poème de Gautier reçoivent un traitement vocal différent dans un style haché « poco piu animato », « con agitazione ». La tessiture vocale s'inscrit ici dans le medium de la voix ; elle s'accorde avec l'atmosphère de profonde mélancolie qui imprègne cette page pour laquelle Berlioz a choisi la tonalité rare de fa dièse majeur.
D'une grande transparence mais aussi d'une grande subtilité, l'orchestration met en valeur les timbres les plus sombres de l'orchestre. choisi la tonalité rare de fa dièse majeur.
D'une grande transparence mais aussi d'une grande subtilité, l'orchestration met en valeur les timbres les plus sombres de l'orchestre.

Le Carnaval romain (1843-1844)

Saltarello romano
Saltarello romano |

Bibliothèque nationale de France

Cette ouverture est construite en deux parties sur deux thèmes principaux empruntés à Benvenuto Cellini : celui du duo du premier acte entre Cellini et Teresa « Ô Teresa, vous que j’aime plus que ma vie » et celui du chœur du carnaval « Venez, venez, peuple de Rome » sur un rythme de saltarello à 6/8.
Berlioz fait redire à satiété ce dernier thème par un orchestre flamboyant où il ose toutes les combinaisons de timbres. L’amplification est un instant rompue grâce au thème de Teresa élargi et ennobli avant qu’un crescendo orchestral en forme de développement terminal ne conduise cette ronde frénétique à son terme.
L’orchestre de Berlioz déploie ici tous ses artifices, associé à une pulsion rythmique impérative : les associations et oppositions des percussions, cuivres et bois deviendront un modèle pour les compositeurs de la fin du XIXe siècle, notamment ceux de l’école russe comme Rimski-Korsakov.
Incomprise à Saint-Pétersbourg mais reçue triomphalement à Vienne, l’ouverture, « une poignée de serpenteaux dans un feu d’artifice », fut souvent dirigée par Berlioz ; il tenait à une exécution pleine de « précision, de brio, de turbulence bien réglée. » (Mémoires, LVI)
Première exécution : 3 février 1844.

La Damnation de Faust (1846)

La Damnation de Faust
La Damnation de Faust |

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Le Faust de Goethe a inspiré à Berlioz, en 1828, les Huit scènes de Faust, première œuvre qui donnera naissance en 1846 à sa grande « légende dramatique », La Damnation de Faust.
Il ne s’agit pas d’une œuvre destinée à être mise en scène, mais comme il l’appelle lui-même, d’un « opéra de concert », plus proche de l’oratorio que de l’opéra proprement dit. Berlioz écrivit lui-même la plus grande partie du livret de l’œuvre : il inséra quelques passages de la traduction de Faust par Gérard de Nerval et fut aidé pour le reste par le journaliste Almire Gandonnière.
Berlioz traite librement son sujet dans cette partition : il omet certaines scènes, en ajoute d’autres : une grande liberté formelle caractérise cette œuvre. Son Faust connaît les mêmes aspirations que le personnage de Goethe : la quête du savoir et la recherche de l’absolu, auquel peut mener la contemplation de la nature.

Les Troyens (1856-58)

Le Cheval de Troie
Le Cheval de Troie |

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Berlioz compose Les Troyens entre 1856 et 1858 : mais il doit attendre 1863 pour voir son œuvre partiellement représentée sur une scène parisienne – celle du Théâtre Lyrique.
Pour ce grand opéra dans le style de Gluck, que le poussent à écrire Liszt et sa compagne la princesse de Sayn-Wittgenstein, il s’inspire de ses héros littéraires de toujours, les héros de l’Énéide de Virgile.
L’œuvre raconte la chute de Troie, la fuite d’Énée et des Troyens rescapés pour fonder une nouvelle ville : ils sont recueillis par Didon, reine de Carthage, qui noue avec le héros troyen une idylle amoureuse. Mais les spectres des Troyens rappellent Énée à son devoir et il doit partir pour fonder une nouvelle cité (Rome). Didon s’immole à la nouvelle du départ de la flotte troyenne.
Le deuxième tableau de l’acte IV se déroule le soir, dans les jardins de Didon à Carthage. Enée raconte à la reine, qui est entourée d’Anna, sa sœur, de Narbal, son conseiller, d'Iopas, le poète de sa cour, de Panthée, un prêtre troyen, et d'Ascagne, le fils d’Énée, le sort des Troyens après la chute de Troie. Tous ces personnages unissent leur voix dans un septuor aérien (Tout n’est que paix et charme autour de nous ! / La nuit étend son voile et la mer endormie / Murmure en sommeillant les accords les plus doux.), avant de se retirer pour laisser place au duo d’amour de Didon et d’Énée (dont le texte du refrain est : « Nuit d’ivresse et d’extase infinie ! / Blonde Phoebé, grands astres de sa cour, / Versez sur nous votre lueur bénie ; / Fleurs des cieux, souriez à l’immortel amour ! »). Pour ce duo, Berlioz s’inspire du dernier acte du Marchand de Venise de Shakespeare : « C’est Shakespeare qui est le véritable auteur des paroles et de la musique », écrit-il.

Béatrice et Bénédict (1862)

Béatrice et Bénédict
Béatrice et Bénédict |

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La composition de Béatrice et Bénédict, « un caprice écrit avec la pointe d'une aiguille et qui exige une excessive délicatesse d'exécution », résulte d’une commande d'Édouard Bénazet pour le théâtre de Bade.
Cette œuvre radieuse s’élabore dans une période difficile de la vie du compositeur marquée par la mort brutale de sa seconde épouse, Marie, en juin 1862.
Berlioz résume ainsi la genèse de l’œuvre : « j’ai pris pour texte une partie de la tragi-comédie de Shakespeare (Much ado about nothing) [...] il paraît que mes deux héros Béatrice et Bénédict se raillent et se mordillent avec grâce. En outre, il y a le couple sentimental, Héro et Claudio, dont le contraste avec l'autre est des plus heureux. J'ai ajouté à la donnée shakespearienne une caricature musicale, un maître de chapelle grotesque, nommé Somarone (gros âne) dont les âneries provoquent le rire. »
Le premier scénario de Béatrice et Bénédict écrit dès 1852 faisait allusion à un tableau de Winterhalter exposé au Salon de 1837 représentant les conteurs du Décaméron. Finalement, Berlioz choisit pour cadre un 16e siècle imaginaire : « L’époque présumée de l’action de mon opéra est le XVIe siècle. Il faut des costumes siciliens. »
Les paroles du Scherzo final « L’amour est un flambeau » résument tout l'éclat, la folie et la cruauté du jeu amoureux  l'amour est un flambeau / L'amour est une flamme / Un feu follet qui vient on ne sait d'où / Qui brille et disparaît pour égarer notre âme / Attire à lui le sot et le rend fou [...] / Un instant soyons fous, / Aimons-nous [...] / Sûrs de nous haïr donnons-nous la main / Oui pour aujourd'hui la trêve est signée / Nous redeviendrons ennemis demain. »     

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « Berlioz, la voix du romantisme » présentée du 17 octobre 2003 au 18 janvier 2004 à la Bibliothèque nationale de France, en partenariat avec Arte, France Musiques et l'Orchestre de Paris-Mogador.

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