Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

Les contrastes du noir et du blanc

Francfort
Francfort

Courtesy Howard Greenberg Gallery, New York  après © Estate of Ray K. Metzker

Le format de l'image est incompatible
La première commercialisation d’un procédé photographique couleur en 1907 puis la généralisation des négatifs et diapositives couleur dans la seconde moitié du 20e siècle, auraient pu signifier la fin du noir et blanc. En effet, dès l’origine de la photographie, reproduire les couleurs naturelles a été l’aspiration des inventeurs. Malgré cela, la photographie monochrome se maintient fermement.

 

Dès la fin du 19e et au long du 20e siècle, le noir profond des grains d'argent densifiés par le développement chimique ainsi que le blanc presque pur du papier industriel baryté dominent dans les pratiques : ils s'imposent alors comme les couleurs de la photographie.

Les avant-gardes des années 1920-1930 inventent avec ces outils des variations formelles jouant sur la franche juxtaposition du clair et du sombre.

À partir des années 1950, en réaction à l'essor des procédés couleur et à leur dispersion chromatique, le choix d'une opposition marquée du noir et du blanc s'assume toujours davantage. Cette esthétique du contraste se voit poussée à l'extrême dans les années 1970-1980.

Sans titre
 
Sans titre
  |

Valérie Belin © Adagp, Paris 2023

Chéa, Cambodge
 
Chéa, Cambodge
  |

© Laurence Leblanc, Saif, 2023

En exploitant le simple antagonisme des valeurs, les photographes font apparaître nettement les contours de leur sujet. Ce graphisme épuré, percutant, exacerbe la perception du réel : placées sur un fond contrasté, les formes surgissent et s'imposent, noires sur blanc, blanches sur noir.

C'est aussi la rencontre fortuite de motifs aux tonalités opposées qui suscite la prise de vue : les photographes guettent et captent les contrastes du monde, à même d'être sublimés par le noir et blanc.

C’est tout particulièrement le cas pour les prises de vues de neige. 
Page saturée de blanc offerte à l'empreinte, à la trace, au dessin contrasté des formes et des silhouettes, la neige est un décor de prédilection des photographes. La photographie de neige traverse tous les courants, approche humaniste, formelle ou encore documentaire. Sous son apparente simplicité cependant, c'est un motif extrême qui exige une solide technicité. La grande étendue de blanc modifie la balance habituelle des contrastes. Une luminosité excessive, jusqu'à l'éventuelle surexposition, efface les détails, la matière même de la neige, les aspérités qu'elle recouvre. La brume étouffe les couleurs naturelles, avec l'écueil d'une image grise manquant de contraste et passant à côté des effets lumineux. Les photographes doivent adapter leur savoir-faire pour restituer la poésie des instantanés d'hiver ou la majesté des espaces enneigés.

Neige fondant sur un rocher
Neige fondant sur un rocher |

© Koichiro Kurita
Johanna Breede PHOTOKUNST, Berlin et koichirokurita.com

Le noir et blanc permet par ailleurs aux photographes d’insister sur les effets graphiques dans leurs prises de vues. 
En poussant les contrastes du noir et du blanc, les photographes révèlent les lignes de force et les stricts volumes qui structurent le réel et, tout par­ticulièrement, les architectures de la modernité urbaine et industrielle. Certains vont jusqu'à les restituer sous la forme de tirages au trait, compo­sés de pures formes sombres sur un fond clair dénué de toute demi-teinte.

Accentuée par les nettes oppositions de valeurs, la géométrie latente du monde s'agence et se livre à l'œil en aplats francs, en lignes appuyées et stylisées. Ce faisant, la photographie en noir et blanc joint les préoccupations de la sculpture aux influences de la peinture abstraite.

Par la suggestion des traces, des empreintes du réel, et par leur rendu tremblé, la photographie monochrome peut aussi faire émerger une graphie subtile, tirée des formes naturelles. Isolés de tout contexte, les minces contours photographiés rappellent un tracé de crayon ou de pointe sèche sur une page blanche. En traduisant le dessin du monde et le monde en dessin, la photographie s'affirme héritière des arts graphiques.

Hall
 
Hall
  |

© Jean-Claude Gautrand, Saif, 2023 

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition « Noir & Blanc - Une esthétique de la photographie » présentée à la BnF du 17 octobre 2023 au 21 janvier 2024.

Lien permanent

ark:/12148/mm2s2d0fv4srm