Découvrir, comprendre, créer, partager

Article

Les débuts de la photographie au Japon

Goten
Goten

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Le format de l'image est incompatible
Inventée en Europe à la fin des années 1830, la photographie fait rapidement le tour du monde. Dès 1848, les premières chambres noires arrivent au Japon, où elles ne mettent pas longtemps à s’imposer. Retour sur l’histoire des débuts de la photographie au pays du Soleil-Levant, en cinq dates-clés.

1848 : l’arrivée de la photographie

En 1848, une chambre noire apportée par un navire des Pays-Bas devient pour la première fois la propriété d’un Japonais. Les rares échanges avec l’extérieur tolérés par le shôgunat avant 1854 n’avaient pas permis à la photographie, lors de son premier tour du monde immédiatement après la divulgation de l’invention, de paraître dans cette contrée d’Extrême-Orient. La Chine, elle, avait déjà reçu en 1844 la visite d’un daguerréotypiste amateur, Jules Itier. La plaque doublée d’argent et la boîte à mercure firent l’objet d’un succès de curiosité. Dans le même temps, le négatif sur verre au collodion (1851) allait remplacer le procédé de Daguerre. À partir de ce moment, la photographie ne cessera de s’affirmer au Japon d’une décennie à l’autre, autour de dates qui désignent aussi des moments clés de l’évolution politique du pays.

Deux personnages assis
Deux personnages assis |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Nabae-Sima
Nabae-Sima |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

1858, les débuts

Nagasaki
Nagasaki |

Bibliothèque nationale de France

En 1858, une série de conventions avec plusieurs pays prévoit l’ouverture d’au moins cinq ports aux navires étrangers avec la faculté pour les ressortissants de s’y fixer. Des Européens rompus à la pratique photographique initient des autochtones qui, à leur tour, forment des compatriotes. Ils passent comme ce mystérieux Scandinave dit Le Norvégien qui débarque à Nagasaki en 1857 et prend des vues dans le pays jusqu’en 1859, en compagnie de son guide et ami Dsetjuma bientôt instruit de ses secrets ; ou comme Pompe van Meerdervoort, médecin naval, qui de 1857 à 1863 à Nagasaki enseigne la médecine, la physique et la chimie, inculquant les rudiments du collodion à des étudiants, entre autres Hikoma Ueno. Ils s’installent, comme Felice Beato à Yokohama en 1863, et s’entourent d’assistants qui se mettront parfois à leur compte. Mais ce début concerne essentiellement le portrait. Aussi Aimé Humbert, futur auteur d’un texte bien illustré, fait-il installer un atelier dans les résidences qu’il occupe en 1863 et 1864 : bon nombre des paysages et des scènes de mœurs enregistrés sous ses yeux y seront sans doute tirés.

Yokohama
Yokohama |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

1868, l’ère Meiji et la photographie de studio

Vieil homme à l’éventail 
Vieil homme à l’éventail  |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

En 1868, l’ère Meiji (“gouvernent éclairé”) est proclamée. Dans cet empire qui a désormais un seul chef religieux et politique, l’avènement du mikado Mutsuhito ayant entraîné l’abdication du dernier shôgun, la photographie, attribut des temps nouveaux, se taille un royaume. Elle a gagné tous les centres de grande et moyenne importance. Osaka, dit-on, compte une quarantaine d’opérateurs et Yokohama, symbole de la présence occidentale, n’a sans doute rien à lui envier. Des professionnels ont déjà acquis une forte notoriété, tels Renjo Shimooka qui fut peut-être le premier à ouvrir un établissement, Kyûichi Uchida qui tirera les portraits de ses souverains en 1872, Hikoma Ueno chez qui Pierre Loti et Chrysanthème prendront la pose. La photographie se développe dans le cadre importé du studio : « L’atelier où l’on pose, écrit Loti, pourrait être aussi bien à Paris ou à Pontoise : mêmes chaises en “vieux chêne”, même poufs défraîchis, colonnes en plâtre et rochers en carton ».

Prêtre bouddhiste
Prêtre bouddhiste |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Jeune femme assise à l’éventail
Jeune femme assise à l’éventail |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

 
Maître et son serviteur
Maître et son serviteur |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Jeune musicienne agenouillée
Jeune musicienne agenouillée |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

1878, tout photographier

En 1878, les forces qui ont mis le Japon à l’école des nations occidentales l’ont définitivement emporté. La photographie se répand partout. Des forains, des opérateurs avisés, dressent leur appareil dans les lieux les plus reculés pourvu qu’ils soient fréquentés et jusque sur le parvis des sanctuaires les plus vénérables de Kamakura, Nikkô, ou Kyôto. Et dans les rues commerçantes des cités, à côté des marchands d’objets de laque, de porcelaine, de bronze et de bois sculpté, de sucreries et de jouets, de gravures et d’images de piété. Le voyageur et le badaud trouvent des boutiques d’épreuves détaillant des effigies de célébrités ou des vues de sites indigènes, voire étrangers. Dans le quartier mal famé de Tôkyô, les photographies des pensionnaires des maisons de plaisir sont affichées à la porte.

Jeune femme assise, avec sa boisson
Jeune femme assise, avec sa boisson |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Objets à l’étalage
Objets à l’étalage |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

1889, la Société japonaise de photographie

Modèle posant en samouraï
Modèle posant en samouraï |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

En 1889, la révolution politique que l’Occident a déclenchée à son insu trente ans auparavant en forçant l’entrée du Japon dans un but commercial s’achève par la promulgation d’une constitution : le régime impérial reste autoritaire, mais il accepte la séparation des pouvoirs et un début de représentativité fait unique en Orient à cette date. 1889 est aussi l’année de fondation de la Société japonaise de photographie. L’allégement du matériel et la simplification des manipulations élargissent le cercle des intervenants et accroissent leur diversité. L’entière maîtrise des procédés invite au dépassement de pratiques strictement mercantiles et spécialisées, fondées sur le rituel de l’atelier et dominées par une stratégie visant à la conquête de la ressemblance dans l’enregistrement d’un visage, d’une scène familière, d’un paysage, d’un monument. À cette époque justement, une École désignée sous le terme de pictorialisme suscite la création de cercles et de clubs à travers le monde. En 1893, le Japon aura le sien et le public découvrira à Tôkyô, dans une grande exposition d’épreuves étrangères, une tendance esthétique dont les formulations sembleront parfois inspirées de sa propre tradition graphique. Rejoignant ce courant, des photographes du cru s’élèveront au niveau de la création internationale ; cependant, c’est au 20e siècle que l’on décèlera les prémices d’une photographie réellement japonaise.

Fixer une civilisation qui s’efface

Oyama 
Oyama  |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

À la fin du siècle, les images du Japon qui s’efface, fixées sur la plaque sensible par des milliers de chambres noires, forment un stock assez considérable. Les opérateurs en renom aussi bien que les vulgarisateurs exploitent cette nouvelle source de documentation. Des albums de vues rétrospectifs, des séries d’épreuves à caractère folklorique sont mis en vente par des praticiens qui font de la réclame dans les pages publicitaires de guides comme celui de Chamberlain.
Diplomates, soldats, commerçants, conseillers, amateurs d’art, collectionneurs et voyageurs arrivent dans le sillage du commodore Perry. Certains publient une relation de leur séjour ou de leur périple, comme Aimé Humbert qui s’émeut de l’intérêt manifesté par les dames envers un album de famille qu’il leur communique. Ces témoignages dessinent la progression de l’épreuve argentique de décennie en décennie, la multiplication de ses centres de production et de ses points de vente, la diversification de ses applications. Le médium exerce sur les insulaires un attrait indiscutable. Edmond Cotteau observe que les studios sont presque aussi nombreux que les maisons de thé le long des rues principales et dans les parcs ouverts aux promeneurs.

Groupe de trois hommes aïnous
Groupe de trois hommes aïnous |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Groupe de samouraïs regardant une carte
Groupe de samouraïs regardant une carte |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Les visiteurs étrangers eux-mêmes achètent des albums ou des suites de portraits-cartes représentant des vues urbaines, des curiosités naturelles, des sujets de la vie quotidienne, des scènes de la rue, des personnalités. Le prix n’en est pas élevé. Humbert confesse avoir réuni des photographies, ainsi que des gravures et des dessins, dans l’idée que l’iconographie, à elle seule, suffirait à former un volume qu’il intitulerait Les Japonais peints par eux-mêmes. En revanche, la prise de vue par les voyageurs reste une pratique minoritaire et hasardeuse. Se charger d’un équipement encombrant et distraire du temps pour les opérations alors que le transport est rudimentaire, le cheminement à l’intérieur de la contrée, malaisé, l’horaire fixé pour atteindre le gîte d’étape avant la nuit, calculé au plus près, est-ce bien utile puisqu’on peut faire provision de photographies intéressantes en de nombreux endroits ?

Deux lutteurs de sumô et un arbitre
Deux lutteurs de sumô et un arbitre |

Bibliothèque nationale de France / Société de géographie

Provenance

Cet article a été publié à l’occasion de l’exposition « Trésors photographiques de la Société de géographie » présentée à la Bibliothèque nationale de France en 2007.

Lien permanent

ark:/12148/mmg5hb6wmbvs