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Extrait

Le nain jaune

Marie-Catherine d'Aulnoy, Contes des Fées, 1697
La fille de la reine, qu'on nomme Toute-Belle, ne cesse de repousser les avances de ses prétendants, si bien que la reine craint qu'elle ne se marie jamais. Elle décide de se rendre auprès de la Fée du désert, afin qu'elle lui vienne en aide. Sur le chemin, la reine se retrouve encerclée par des lions. C'est alors qu'elle aperçoit un nain jaune.

L’était une fois une reine veuve, qui, de tous ses enfants, n'avait conservé qu'une fille merveilleusement belle. Elle craignait tant de la perdre, qu'elle ne corrigeait pas ses défauts, et cette belle princesse devint si fière qu'elle méprisait tout le monde. 
Sa mère envoya son portrait dans différentes cours, et vingt rois la demandèrent en mariage, mais Toute-Belle (c'est le nom que la reine lui avait donné) les regardait tous comme au-dessous d'elle, et quand ils dépensaient trois ou quatre cents millions à lui donner une fête, elle croyait les récompenser trop en leur disant : cela est joli. On ne faisait des feux de joie dans tout le pays qu'avec les vers de tous les poètes qui chantaient à l'envi la beauté de Toute-Belle. 
La reine ne savait comment la marier, quoiqu'elle eût déjà quinze ans, car on se serait pendu six fois par jour pour lui plaire, qu'elle aurait traité cela de bagatelle. Ne voulez-vous pas, lui disait-elle, rabattre un peu votre orgueil, et choisir pour époux un de ces rois ? sachez qu'il n'y en a point ailleurs qui les vaillent. 
Cela était vrai, mais la fière princesse croyait valoir encore mieux, et, par son entêtement à rester fille elle chagrina tant sa mère, que celle-ci se repentit de l'avoir si mal élevée. 
Ne sachant plus que faire, la reine alla trouver une célèbre fée, qu'on appelait la fée du Désert. Cette fée était gardée par des lions, mais la reine savait que, pour passer, il fallait leur jeter du gâteau fait de millet avec du sucre candi et des œufs de crocodiles. Comme elle était lasse d'avoir marché longtemps, elle se coucha au pied d'un arbre et s'endormit. Mais en s'éveillant elle ne trouva plus le gâteau qu'elle devait jeter aux lions, et pour comble de malheur, elle les entendit venir avec bruit car ils l'avaient sentie. 
Hélas ! s'écria-t-elle, je serai dévorée 
Et n'ayant pas la force de se sauver, elle se serrait contre l'arbre sous lequel elle avait dormi. Elle entendit tout à coup 
Chet, chet, hem, hem; et, levant les yeux, elle aperçut sur l'arbre un petit homme haut d'une coudée ; il mangeait des oranges et lui dit : Oh ! oh ! reine, je vous connais bien, et vous allez être dévorée.
 Hélas! répondit la reine en pleurant, j'en aurais moins de regret si ma chère fille était mariée !
 Quoi, vous avez une fille ? s'écria le nain jaune (on le nommait ainsi à cause de la couleur de son teint et de l'oranger où il demeurait), et bien ! moi je cherche une femme, et si vous me promettez votre fille, je vous garantirai des lions. La reine le regarda, et fut presque aussi effrayée de son horrible petite figure qu'elle l'était des lions. 
 Quoi, madame, vous hésitez ? cria-t-il.

Marie-Catherine Le Jumel de Barneville baronne d'Aulnoy, Contes des Fées : Paris, Bernardin-Béchet, 1868, pp.169-191
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