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Extrait

Les Grandes Compagnies (1364)

Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit, Quatrième livre, « Les Grandes Compagnies (1364) », 1842
La composition de Gaspard de la Nuit a demandé plus de dix ans de recherches et d’expérimentations poétiques à Bertrand. Un texte en témoigne tout particulièrement : « Jacques-les-Andelys. Chronique de l’an 1364 » devenu, après de nombreux amendements, « Les Grandes compagnies (1364) ». Revendiquant le statut de chronique, la première version, parue en 1828 dans Le Provincial, est un récit relativement long. Elliptique, divisée en trois parties, la dernière version exige quant à elle du lecteur une attention et un travail d’interprétation très rigoureux. En voici le début.
 

Quelques maraudeurs, égarés dans les bois, se chauffaient à un feu de veille autour duquel s’épaississaient la ramée, les ténèbres et les fantômes.

« Oyez la nouvelle ! dit un arbalétrier. Le roi Charles cinquième nous dépêche messire Bertrand du Guesclin avec des paroles d’appointement ; mais on n’englue pas le diable comme un merle à la pipée. »

Ce ne fut qu’un rire dans la bande, et cette gaieté sauvage redoubla encore, lorsqu’une cornemuse qui se désenflait pleurnicha comme un marmot à qui perce une dent.

« Qu’est ceci ? répliqua enfin un archer, n’êtes-vous pas las de cette vie oisive ? Avez-vous pillé assez de châteaux, assez de monastères ? Moi je ne suis ni saoûl, ni repu. Foin de Jacques d’Arquiel, notre capitaine !… Le loup n’est plus qu’un lévrier… Et vive messire Bertrand du Guesclin, s’il me soudoie à ma taille et me rue par les guerres ! »

Ici la flamme des tisons rougeoya et bleuit, et les faces des routiers bleuirent et rougeoyèrent. Un coq chanta dans une ferme.

« Le coq a chanté et saint Pierre a renié Notre-Seigneur ! » murmura l’arbalétrier en se signant.

Aloysius Bertrand, Gaspard de la Nuit, Paris : Pincebourde, 1869, pp. 115-116.
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