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Extrait

Prise en chasse

Herman Melville, Moby Dick, 1851

Cette nuit-là, lors du quart de minuit à quatre heures, lorsque le vieillard — comme il le faisait parfois — sortit de l'écoutille où il s'appuyait et regagna son trou de tarière, il leva soudain le visage avec âpreté en humant l'air du large comme un chien de bord perspicace à l'approche d'une île barbare. Il déclara qu'il devait y avoir une baleine non loin. Toute la bordée sentit bientôt cette odeur particulière que le cachalot vivant répand souvent à une grande distance et aucun matelot ne fut surpris lorsque après avoir consulté le compas, puis le penon, et s'être assuré aussi précisément que possible de la direction d'où venait l'odeur, Achab donna rapidement l'ordre de changer légèrement le cap et de diminuer de voiles.

La ligne de conduite avisée, dictant cette manœuvre, se justifia pleinement au lever du jour qui révéla, à l'avant, une longue bande lisse horizontale, onctueuse comme de l'huile, et qui ressemblait, entourée comme elle l'était de risées, au revolin rapide, poli comme un métal, qui se forme à l'embouchure des grands fleuves.

 Aux postes de vigie ! Tout le monde sur le pont !

Sur le pont du gaillard d'avant, Daggoo fit un tel tonnerre avec le bout de trois anspects réunis, il éveilla les dormeurs avec un tel fracas de jugement dernier qu'ils semblèrent rejetés par l'écoutille tant ils apparurent avec promptitude, leurs vêtements à la main.

– Que voyez-vous ? cria Achab le visage renversé vers le ciel.
– Rien, rien, sir ! fut la réponse qui tomba d'en haut.
– Les perroquets !... les bonnettes ! Hautes et basses sur les deux bords !

Toute la toile établie, il largua la sauvegarde destinée à le hisser au mât de grand cacatois. Il était au deux tiers de son ascension lorsque, regardant dans l'espace vide séparant le grand perroquet du grand hunier, il poussa un cri de goéland :

– La voilà qui souffle ! La voilà qui souffle ! Une bosse comme une colline neigeuse ! C'est Moby Dick !

Herman Melville, Moby Dick, tr. Henriette Guex-Rolle, Paris :Garnier-Flammarion, 1989, chapitre 133, p.543-544.
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