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Extrait

L'amer goût du luxe

Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, 1831
Grâce à sa peau de chagrin magique, qui exauce tous ses désirs au prix de sa vie, Raphaël de Valentin accède à la richesse et au pouvoir dans la haute société parisienne. Mais le luxe garde un goût amer pour le jeune homme qui a connu la ruine.

Le hourra de cette assemblée rieuse résonnait aux oreilles de Valentin sans qu’il pût saisir le sens d’un seul mot ; il pensait vaguement à l’existence mécanique et sans désirs d’un paysan de Bretagne, chargé d’enfants, labourant son champ, mangeant du sarrasin, buvant du cidre à même son piché, croyant à la Vierge et au roi, communiant à Pâques, dansant le dimanche sur une pelouse verte et ne comprenant pas le sermon de son recteur. Le spectacle offert en ce moment à ses regards, ces lambris dorés, ces courtisanes, ce repas, ce luxe, le prenaient à la gorge et le faisaient tousser.
 Désirez-vous des asperges ? lui cria le banquier.
 Je ne désire rien, lui répondit Raphaël d’une voix tonnante.
 Bravo ! répliqua Taillefer. Vous comprenez la fortune, elle est un brevet d’impertinence. Vous êtes des nôtres ! Messieurs, buvons à la puissance de l’or. Monsieur de Valentin devenu six fois millionnaire arrive au pouvoir. Il est roi, il peut tout, il est au-dessus de tout, comme sont tous les riches. Pour lui désormais, LES FRANÇAIS
SONT ÉGAUX DEVANT LA LOI est un mensonge inscrit en tête du Code. Il n’obéira pas aux lois, les lois lui obéiront. Il n’y a pas d’échafaud, pas de bourreaux pour les millionnaires !
 Oui, répliqua Raphaël, ils sont eux-mêmes leurs bourreaux !
 Oh ! cria le banquier, buvons.
 Buvons, répéta Raphaël en mettant le talisman dans sa poche.

Honoré de Balzac, La Peau de chagrin, Paris : Charpentier, 1839, p. 229-230.
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