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Extrait

Le spectacle hideux de sauvages absolument nus

Jacques Arago, Voyage autour du monde, souvenirs d'un aveugle, 1839.
Ayant participé à l'expédition de Claude-Louis de Freycinet en 1817, le dessinateur Jacques Arago en tire un récit de voyage fréquemment réédité. Dans cette description de Sidney prévaut le sentiment d'une supériorité culturelle vis-à-vis des « sauvages » aborigènes.

J'ai visité des pays entièrement sauvages ; j'ai vu aussi des îles où la civilisation, tour à tour dominatrice et vaincue, offrait un bizarre contraste à l'admiration et la laissait dans le doute sur l'issue de la querelle que le temps ne faisait qu'envenimer.

Il n'en est pas de même ici, le sauvage se coudoie tous les jours avec l'homme des cités, et chacun reste libre de ses actions comme de ses pensées.

Est-ce un bienfait pour les uns et pour les autres ? Je ne le crois pas ; et si jamais la violence des missionnaires a dû être pardonnée, c'est alors surtout qu'il s'agit d'arracher à toutes les misères, à tous les abrutissements, des malheureux, des hommes farouches à qui les barreaux d'une prison vaudraient mille fois mieux que l'indépendance au sein des bois et des montagnes.

Je dis encore que, dût-on employer la rigueur des châtiments, il serait sage, il serait moral de fermer l'entrée de Sidney à ceux de ces naturels qui s'y présenteraient sans vêtements, car c'est un spectacle vraiment hideux que celui de tant d'hommes et de femmes absolument nus au milieu d'une population façonnée sans doute à de pareils tableaux, mais auxquels les jeunes filles européennes ne s'habituent pas, à coup sûr, sans un profond sentiment de dégoût.

Puisque la faim chasse des déserts ces hordes féroces, tâchez encore que la main qui leur donne la nourriture leur impose aussi des devoirs de reconnaissance.

Jacques Arago, Voyage autour du monde, souvenirs d'un aveugle, Paris : H. Roux, 1880, p. 319.
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