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Extrait

Les requins

Herman Melville, Moby Dick, 1851

 Débordez ! cria Achab en secouant l'étreinte de son second. Paré, l'équipage !

En un instant la pirogue eut débordé près de la poupe.

 Les requins ! les requins ! cria une voix du hublot bas de la cabine, ô maître, mon maître, revenez !

Mais Achab n'entendit rien car à ce moment-là il élevait la voix et sa baleinière fila.

Pourtant la voix disait vrai. À peine la pirogue s'était-elle éloignée du navire, que de nombreux requins, émergeant semblait-il des eaux sombres sous la quille, vinrent méchamment mordre les pelles des avirons, chaque fois qu'elles plongeaient dans l'eau et c'est ainsi qu'ils accompagnèrent de leurs dents la baleinière. Ce n'est pas chose inhabituelle dans ces mers qui en sont infestées ; les requins parfois semblent avoir la même prescience que les vautours qui planent au-dessus des étendards des armées de l'Est en marche. Mais c'étaient les premiers squales vus par le Péquod depuis que la Baleine blanche avait été signalée. Était-ce dû à l'équipage des barbares à peau jaune tigre de l'équipage d'Achab, leur odeur musquée flattait-elle davantage l'odorat des requins, il est reconnu qu'ils y sont sensibles, était-ce pour une autre raison, toujours est-il qu'ils suivaient sa seule pirogue sans s'attaquer aux autres.

Herman Melville, Moby Dick, tr. Henriette Guex-Rolle, Paris :Garnier-Flammarion, 1989, chapitre 134, p. 564.
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