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Extrait

« Oui, coquin, je sais le trait que tu m’as joué »

Molière, Les Fourberies de Scapin, acte II, scène 3

LÉANDRE
Oui, coquin, je sais le trait que tu m’as joué, on vient de me l’apprendre ; et tu ne croyais pas peut-être que l’on me dût révéler ce secret : mais je veux en avoir la confession de ta propre bouche, ou je vais te passer cette épée au travers du corps.

SCAPIN
Ah ! Monsieur, auriez-vous bien ce cœur-là ?

LÉANDRE
Parle donc.

SCAPIN
Je vous ai fait quelque chose, Monsieur ?

LÉANDRE
Oui, coquin ; et ta conscience ne te dit que trop ce que c’est.

SCAPIN
Je vous assure que je l’ignore.

LÉANDRE, s’avançant pour le frapper
Tu l’ignores !

OCTAVE, le retenant
Léandre.

SCAPIN
Hé bien Monsieur, puisque vous le voulez, je vous confesse que j’ai bu avec mes amis ce petit quartaut de vin d’Espagne dont on vous fit présent il y a quelques jours ; et que c’est moi qui fis une fente au tonneau, et répandis de l’eau autour, pour faire croire que le vin s’était échappé.

LÉANDRE
C’est toi, pendard, qui m’as bu mon vin d’Espagne, et qui as été cause que j’ai tant querellé la servante, croyant que c’était elle qui m’avait fait le tour ?

SCAPIN
Oui, Monsieur, je vous en demande pardon.

LÉANDRE
Je suis bien aise d’apprendre cela ; mais ce n’est pas l’affaire dont il est question maintenant.

SCAPIN
Ce n’est pas cela, Monsieur ?

LÉANDRE
Non, c’est une autre affaire qui me touche bien plus, et je veux que tu me la dises.

SCAPIN
Monsieur, je ne me souviens pas d’avoir fait autre chose.

LÉANDRE, le voulant frapper
Tu ne veux pas parler ?

SCAPIN
Eh.

OCTAVE, le retenant
Tout doux.

SCAPIN
Oui, Monsieur, il est vrai qu’il y a trois semaines que vous m’envoyâtes porter le soir, une petite montre à la jeune Égyptienne que vous aimez. Je revins au logis mes habits tout couverts de boue, et le visage plein de sang, et vous dis que j’avais trouvé des voleurs qui m’avaient bien battu, et m’avaient dérobé la montre. C’était moi, Monsieur, qui l’avais retenue.

LÉANDRE
C’est toi qui as retenu ma montre ?

SCAPIN
Oui, Monsieur, afin de voir quelle heure il est.

LÉANDRE
Ah, ah, j’apprends ici de jolies choses, et j’ai un serviteur fort fidèle vraiment. Mais ce n’est pas encore cela que je demande.

SCAPIN
Ce n’est pas cela ?

LÉANDRE
Non, infâme, c’est autre chose encore que je veux que tu me confesses.

SCAPIN
Peste !

LÉANDRE
Parle vite, j’ai hâte.

SCAPIN
Monsieur, voilà tout ce que j’ai fait.

LÉANDRE, voulant frapper Scapin
Voilà tout ?

OCTAVE, se mettant au-devant
Eh.

SCAPIN
Hé bien oui, Monsieur, vous vous souvenez de ce loup-garou il y a six mois qui vous donna tant de coups de bâton la nuit, et vous pensa faire rompre le cou dans une cave où vous tombâtes en fuyant.

LÉANDRE
Hé bien ?

SCAPIN
C’était moi, Monsieur, qui faisais le loup-garou.

LÉANDRE
C’était toi, traître, qui faisais le loup-garou ?

SCAPIN
Oui, Monsieur, seulement pour vous faire peur, et vous ôter l’envie de nous faire courir toutes les nuits comme vous aviez de coutume.

LÉANDRE
Je saurai me souvenir en temps et lieu de tout ce que je viens d’apprendre. Mais je veux venir au fait, et que tu me confesses ce que tu as dit à mon père.

Molière, Les Fourberies de Scapin, acte II, scène 3
Librairie des bibliophiles (Paris), 1876
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