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L'estampage, imprimer l'authentique

Inscription de la Source douce du palais Jiucheng
Inscription de la Source douce du palais Jiucheng

© Bibliothèque nationale de France

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Procédé très simple, permis par la qualité et l’épaisseur du papier chinois, l’estampage permet de reproduire à l’identique une inscription gravée dans la pierre ou sur un autre support pérenne.

L’estampage est une véritable technique de reproduction sur papier d’un texte ou d’un dessin gravé sur un support dur, généralement la pierre, accessoirement le métal ou le bois. L’image positive des caractères y est gravée en intaille selon le sens normal de lecture. L’encrage est appliqué au recto de la feuille et non directement sur la pierre, alors que c’est la surface du bois qui est encrée dans le procédé xylographique.

La gravure sur pierre, un art millénaire

Estampeurs de la Forêt des stèles, le musée lapidaire de Xi'an
Estampeurs de la Forêt des stèles, le musée lapidaire de Xi'an |

© Nathalie Monnet

Estampeurs de la Forêt des stèles, le musée lapidaire de Xi'an
Estampeurs de la Forêt des stèles, le musée lapidaire de Xi'an |

© Nathalie Monnet

La pratique de l’estampage est bien postérieure à l’art de la gravure sur pierre parfaitement maîtrisé depuis la haute antiquité. Excellents tailleurs de pierre, les Chinois des époques Shang et Zhou fabriquèrent de délicats objets en jade qu’ils incisaient de dessins d’une finesse remarquable. Pourtant, ils préférèrent d’autres supports non périssables comme les os de bovins, les plastrons de tortues ou la vaisselle de bronze pour y inscrire leurs textes. Les plus anciens blocs de pierres inscrits seraient les « dix tambours de pierre » du 8e siècle avant notre ère. Trois siècles plus tard, l’ouvrage du philosophe Mozi énumère comme supports de la transmission des connaissances la pierre au même titre que le bambou, le bronze et la soie. Le véritable essor des inscriptions lapidaires débute au cours de la dynastie des Qin (221-206) et se généralise à l’époque des Han avec la réalisation de stèles funéraires ou commémoratives monumentales. Le souci quasi obsessionnel de préserver fidèlement une tradition textuelle issue de la haute antiquité eut pour effet original de créer une bibliothèque de consultation en pierre à la fin des Han. En effet, un édit impérial de l’année 175 de notre ère ordonna la collation de la première « édition » critique des Six Classiques destinée à servir de référence universelle. La calligraphie en fût confiée à l’érudit Cai Yong (132-192) qui écrivit le texte à même les stèles de pierre à l’encre de cinabre. Les caractères furent ensuite évidés pour conserver la calligraphie originale. Les quarante-six stèles, autour desquelles une foule nombreuse se pressait au point de créer des embouteillages, furent placées devant l’université au centre de la capitale. Ces bibliothèques de pierre, véritables conservatoires monumentaux de la version orthodoxe des textes où chacun pouvait aller lire les textes et les recopier furent très prisées puisqu’on ne compte pas moins de sept « éditions » des Classiques sur tablettes de pierre entre le 2e et le 18e siècle, la dernière pendant l’ère Qianlong. Les bouddhistes et dans une moindre mesure les taoïstes imitèrent cette pratique d’inscrire dans la pierre les textes sacrés orthodoxes afin de les transmettre aux siècles futurs sans altération et de les préserver du plus grand fléau qui puisse affecter les planches de bois et les livres, à savoir les incendies.

Le papier chinois, un support propice à l'estampage

Toutefois, la maîtrise de la gravure sur pierre n’explique pas nécessairement l’invention de l’estampage. Les Egyptiens gravaient aussi leurs textes sur pierre sans s’en servir comme matrice. Pour qu’il y ait estampage, il faut que le texte puisse être reproduit sur une surface souple. L’argile fut d’abord un matériau propice : on y imprima des sceaux et certaines briques Han sont estampées de textes classiques. Cependant, c’est le papier inventé en Chine vers le 2e siècle avant notre ère qui permit à cet art de se développer. Le papier ne fut pas dès l’origine apte à recevoir l’encre. L’amélioration de la qualité du papier et d’une encre appropriée vers le milieu du 3e siècle, ainsi que l’utilisation du pinceau permirent au papier de remplacer la soie, le bambou et les lattes de bois. L’estampage fut certainement postérieur de plusieurs siècles à la généralisation de ce nouveau support à la fois bon marché et commode. Les estampages qui nous sont parvenus ne nous autorisent pas à en évoquer l’apparition avant le 7e siècle, ce qui en fait tout de même un procédé de reproduction antérieur à la xylographie.

L'inscription de la source chaude
L'inscription de la source chaude |

© Bibliothèque nationale de France

Une technique plus que millénaire

Le plus ancien spécimen connu au monde porte un colophon manuscrit daté de l’année 653 ce qui indique qu’il fut levé avant cette date. Un catalogue de la bibliothèque impériale de la dynastie Sui (581-618), rédigé dans la première moitié du 7e siècle, recense des rouleaux d’estampages levés sur des pierres gravées quatre ou même huit siècles auparavant. Les pierres gravées servirent véritablement de procédé de reproduction à l’époque des Tang (618-907). Des fonctionnaires étaient spécialement affectés à la tâche de lever des estampages des Classiques. La découverte à cette époque des inscriptions des « dix tambours de pierre » et leur reproduction fidèle par l’estampage quinze siècles après leur gravure, ce dont s’émerveille Wei Yingwu (737-après 786) dans l’un de ses poèmes, est l’une des clefs du succès de cette technique. La méthode employée ne devait guère différer de celle qui est encore actuellement utilisée. Une mince feuille de papier humide est appliquée sur la surface à reproduire. Le papier en séchant se moule dans les moindres anfractuosités de la pierre, donc du texte ou de l’image. La surface est ensuite enduite à l’aide d’un chiffon trempé d’encre noire ou plus rarement vermillon. Les caractères en creux épargnés par l’encrage demeurent blancs et la feuille, délicatement séparée de la pierre, conserve l’exact contour des caractères. Ces grandes planches noires sillonnées de traits blancs sont d’une élégante austérité. En raison de son caractère unique, la technique de l’estampage a continué à exister jusqu’au 20e siècle concurremment à d’autres procédés d’imprimerie. Ses qualités sont à la fois d’ordre esthétique et scientifique : la reproduction rapportée sur papier se révèle d’une précision quasi photographique. L’époque Song (960-1279), marquée par une première renaissance des études sur l’antiquité, vit naître un véritable intérêt archéologique pour les objets antiques et leurs inscriptions. La technique de l’estampage s’affina en permettant de reproduire des objets de bronze tridimensionnels. Un genre nouveau d’ouvrages constitués de ces planches estampées de vases antiques commença à circuler.

Le goût de l'authentique

L’engouement pour l’estampage provient aussi de sa capacité à reproduire une inscription en grandeur nature, sans limitation de taille. Les feuilles atteignent souvent de très grandes dimensions et sont conservées pliées. Elles sont recherchées par les épigraphistes et les historiens qui collectionnent parfois plusieurs estampages d’une même stèle, levés à plusieurs siècles de distance, témoignant de l’état d’usure progressive de la pierre. L’estampage d’une stèle monumentale est parfois conservé en livre. Les feuilles estampées sont alors découpées, sectionnées, réorganisées, enfin collées sur un support de papier épais pour produire un fascicule généralement relié en accordéon. Les estampages reproduisent à l’identique les calligraphies sélectionnées pour leur beauté graphique. Aussi les amateurs réunissaient-ils leurs plus belles pièces comme en témoignent les feuillets d’un petit cahier découvert à Dunhuang. C’est grâce à ces collectionneurs de toutes les époques qui surent conserver et transmettre les estampages que nombre de calligraphies de grands maîtres anciens nous sont parvenues alors que les pierres avaient disparu depuis longtemps et que leurs œuvres originales sur soie ou sur papier étaient perdues. Les différentes techniques d’impression ont parfois été interchangeables, les éditions circulant indifféremment sous forme manuscrite, estampée, xylographiée ou imprimée en caractères mobiles. Cela est vrai pour les multiples éditions des Classiques mais également pour la reproduction d’images, de cartes de géographie ou de peintures. Le Gengzhitu par exemple connut une version gravée sur pierre avant d’être gravé sur bois.