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Focus

Les saints et le pouvoir à la période carolingienne

Martyre des saints Pierre et Paul
Martyre des saints Pierre et Paul

Bibliothèque natioale de France

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La littérature hagiographique relate la vie de ces personnages emblématiques de l’Église que sont les saints. Mais elle joue aussi un rôle politique : à travers l’éloge de grandes figures souvent matyrs, ces ouvrages présentent une image idéalisée de l’histoire chrétienne et participent à la diffusion d’un message politique et religieux unificateur, aux fondements du pouvoir carolingien.

L’abbaye de Saint-Denis

Sous la dynastie carolingienne, les livres liés aux vies de saints se multiplient. L’abbaye de Saint-Denis, véritable sanctuaire de textes historiques, tient alors une place particulièrement importante dans la production des manuscrits hagiographiques.

Depuis longtemps, l’histoire du peuple franc s’écrit à l’abbaye de Saint-Denis. Aux anciennes annales relatives aux 7e et 8e siècles s’ajoute la production carolingienne : ainsi des Annales regni Francorum (Annales du règne des Francs), couvrant les années 741-829. À côté de ces textes historiques, les moines favorisent la production et la circulation de textes hagiographiques : ainsi des Gesta Dagoberti regis (les Hauts Faits du roi Dagobert), qui chantent les libéralités de Dagobert (592-639), fondateur mythique et protecteur de l’abbaye auquel on doit l’embellissement significatif de la basilique, ainsi que les premières pièces majeures du trésor. Son orfèvre saint Éloi a fait couler et ciseler la fameuse croix d’or pur semée de gemmes du maître-autel ; le célèbre trône, à l’origine pliant, date aussi du règne de Dagobert.

Trône dit « de Dagobert »
Trône dit « de Dagobert » |

Bibliothèque nationale de France

Fragment de la croix de Saint-Denis
Fragment de la croix de Saint-Denis |

Bibliothèque nationale de France

Vers 835, une habile forgerie littéraire donne une impulsion nouvelle à la légende des saints patrons de l’abbaye dont les reliques avaient fait la renommée :

Denis, le premier évêque de Paris, aurait connu le martyre vers le milieu du 3e siècle à Montmartre avec ses deux compagnons. Sur l’emplacement présumé de sa tombe, sainte Geneviève, durant la seconde moitié du 5e siècle, édifie une église, remaniée ensuite par le roi mérovingien Childebert, et qui devient la basilique de Saint-Denis. Childebert autorisa princes et hauts dignitaires à établir leur sépulture auprès des « corps saints » des martyrs.

Plus tard, à l’époque carolingienne, l’abbé Hilduin, archichapelain de Louis le Pieux, a l’idée de composer, à partir de récits hagiographiques, une nouvelle version de la Passio sancti Dionysii (la Passion de Saint-Denis) où il identifie le saint martyr avec Denis Aréopagite, philosophe et évêque d’Athènes converti par saint Paul au 1er siècle de notre ère : c’est ainsi que l’évangélisateur de la Gaule accède à un rang quasi apostolique. Plus encore, Hilduin attribue à saint Denis la paternité d’un traité théologique attribué à Denis Aréopagite, que Louis le Pieux avait reçu de l’empereur byzantin Michel le Bègue vers 827.

Les moines de Saint-Denis confondent désormais le pseudo-Denys avec leur saint patron ; pour mieux comprendre ses œuvres, ils se font une spécialité de sa traduction en latin.

Œuvres du Pseudo Denys l’Aréopagite
Œuvres du Pseudo Denys l’Aréopagite |

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La littérature hagiographique au service du pouvoir

On trouve également des récits hagiographiques dans d’autres centres de culture : le scriptorium de Saint-Martin de Tours, dont la réputation n’a cessé de croître durant les premières décennies du 9e siècle, joue ainsi le rôle d’une véritable maison d’édition de Martinelli, recueils de textes hagiographiques relatifs au saint patron de l’abbaye. Cette abondante production a également touché les environs de Tours et est attestée par plusieurs manuscrits.

Recueil de textes relatifs à saint Martin, dit Martinellus
Recueil de textes relatifs à saint Martin, dit Martinellus |

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À Reims, on trouve une adaptation de la Vie de saint Hubert de Laon, évêque de Tongres mort en 727, rédigée au milieu du 9e siècle par Jonas (évêque d’Orléans de 825 à 843). Jonas indique que l’évêque de Liège Walcaud lui a demandé ce travail à l’occasion de la translation des reliques du saint à l’abbaye bénédictine d’Andage, dans les Ardennes. L’auteur rapporte très précisément cette translation, qui eut lieu le 30 septembre 825 ; pour la vie du saint, il se contente de reprendre le récit du 8e siècle, améliorant la forme et la langue sans changer le fond. Jonas donne ici un bon exemple de l’utilisation des saints mérovingiens pour la politique d’intégration des abbayes dans le réseau monastique impérial. Dès les années suivantes, la publication d’autres récits de ce type marque la place que prend l’hagiographie dans la politique et la pratique religieuses, la mythologie chrétienne devenant un instrument de l’unification de l’empire.

Écriture caroline de Reims
Écriture caroline de Reims |

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