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Bijoux et gemmes chez Jules Verne

Jules Verne
Jules Verne

Bibliothèque nationale de France

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De Jules Verne (1828-1905), le plus international des romanciers français du 19e siècle incontestablement, on connaît surtout les machines, la science que ses romans développent à tour de pages et les voyages que font inlassablement ses personnages sur terre, sous terre, sous les mers, dans les airs et même dans l’espace. La place des métaux de valeur, des bijoux, pierres précieuses et autres gemmes peut sembler parfaitement anecdotique dans ses ouvrages. Et pourtant…  

Que d’or, que d’or, que d’or… malheureusement !   

L’or est présent dans l’œuvre vernienne, du premier roman, Cinq Semaines en ballon (1863), jusqu’à l’un des derniers La Chasse au météore (1908). Néanmoins, ce n’est pas tant pour en vanter la beauté ou la valeur, mais bien pour dénoncer l’influence néfaste qu’il peut avoir sur l’esprit l’humain.  

Jules Verne ne déprécie pas l’or en tant que tel, mais regrette plutôt que les hommes puissent perdre la tête à la simple idée d’en posséder. Sentiment partagé par le Dr Fergusson, concepteur du célèbre Victoria, le ballon qui permet aux héros de Cinq Semaines en ballon de survoler l’Afrique. Lorsque les voyageurs font la découverte d’une mine en Afrique, l’ingénieur déplore l’avidité de ses semblables : « Que de passions, que d’avidités, que de crimes enfanterait la connaissance d’une pareille mine ! ». Regret que le romancier ne cessera de partager dans ses romans, s’offrant même le luxe de faire du météore cité ci-dessus, une gigantesque pépite d’or qui disparaît dans l’océan après avoir fait tourner bien des têtes…

La Chasse au Météore
La Chasse au Météore
    

Un globe d’or, une masse du précieux métal dont la valeur ne pouvait être que de plusieurs milliards circulait autour de la terre ! Que de rêves un événement aussi sensationnel n’allait-il pas faire naître ! Que de convoitises n’allait-il pas éveiller dans tout l’Univers, et plus particulièrement dans cette ville de Whaston, (...) !

Jules Verne, La Chasse au météore, Chapitre 8, 1908, version publiée par Hetzel reprise par Michel Verne (1861-1925) d’après le texte de Jules Verne

Une myriade de pierres précieuses

Les bijoux font peu d’apparitions dans les Voyages extraordinaires ; apanage essentiellement féminin, ils parent des personnages secondaires ou des héros traversant des situations exceptionnelles. Ainsi, la première femme de Féofar-Khan, l’envahisseur ennemi du czar russe et de Michel Strogoff, se présente parée à l’excès, couverte « d’un voile de soie lamé d’or qui se rajustait en arrière à un bonnet constellé de gemmes du plus haut prix. (…) ». Sa description est suffisamment détaillée pour que le lecteur écarquille les yeux en observant l’illustration de l’édition Hetzel que l’on doit à Jules Férat (1829-1906) afin d’admirer toutes ces merveilles. Dans Le Tour du monde en quatre-vingts jours, la description du personnage d’Aouda portée par ceux qui veulent la sacrifier lors d’un Sutty inspire également une splendide illustration à Léon Benett (1839-1916).  

Sa tête, son cou, ses épaules, ses oreilles, ses bras, ses mains, ses orteils étaient surchargés de bijoux, colliers, bracelets, boucles et bagues. Une tunique lamée d’or, recouverte d’une mousseline légère, dessinait les contours de sa taille.

Jules Verne est intéressé par le travail de description de la scène mais donne moins d’attention à la description des gemmes et bijoux évoqués. Les héroïnes verniennes sont presque toujours des femmes simples, peu, voire le plus souvent, pas parées. Cette abondance de bijoux et pierres précieuses, loin de mettre en valeur les héroïnes, est souvent un signe péjoratif alertant l’esprit du lecteur. Feofar-Khan, maître d’Ivan Ogareff, est l’incarnation de la figure du « barbare » et Aouda lors de cette scène n’est que l’ombre d’elle-même, droguée par des hommes qui veulent la sacrifier.  

 

Illustration du roman de Jules Verne Michel Strogoff : le courrier du czar
Illustration du roman de Jules Verne Michel Strogoff : le courrier du czar |

Bibliothèque nationale de France

Le Tour du monde en quatre-vingts jours
Le Tour du monde en quatre-vingts jours |

© Bibliothèque nationale de France

Diamant éphémère

 Avancer que Jules Verne méprisait et dédaignait les pierres, perles et gemmes serait toutefois une conclusion un peu hâtive. Verne regrette surtout la notion d’argent, la valeur financière qu’on leur associe et prend plaisir à vanter la beauté du diamant qui semble trouver esthétiquement grâce à ses yeux. D’ailleurs, c’est bien au creux d’un diamant qu’Axel a le sentiment d’avancer lorsqu’il poursuit son Voyage au centre de la Terre ! Mais c’est dans l’Étoile du Sud (1884), roman d’André Laurie (1844-1909) dont il reprend l’écriture à la demande de Pierre-Jules Hetzel, son éditeur, qu’il donne à la pierre tout son éclat : la fameuse Étoile, un diamant « plus gros qu’un œuf de poule » est censé au début du roman être une fabrication du scientifique Cyprien Méré. Le diamant disparaît et la plus grande partie du roman raconte la poursuite du jeune Cafre Matakit, que tous considèrent être le voleur. Il n’est pourtant pas responsable de ce crime. Dada, l’autruche de compagnie de la fiancée de Cyprien, a avalé la pierre précieuse et il faut opérer l’animal pour la récupérer. Un message se dessine dans le sous-texte de l’anecdote :  pour Jules Verne, chantre du progrès, la nature est plus douée que l’homme et la fabrication synthétique ne réussit pas à égaler les pierres naturelles. La nature a en réalité produit ce diamant et il est exceptionnel. Mais John Watkins, père de la fiancée qui finit par le posséder, le couve d’une cupidité punie par l’explosion finale du diamant qui disparaît, ne laissant qu’une poussière grise de sa splendeur. 

« Mines de diamant de Kimberley. Afrique australe »
« Mines de diamant de Kimberley. Afrique australe » |

© Bibliothèque nationale de France

 

Une curiosité naturelle : la perle face au luxe

On touche là, un domaine cher à Jules Verne : il faut savoir regarder ces merveilles, les admirer pour leur beauté et non pour leur valeur « monétaire ». Dans ce cas, elles sont éternelles. La perle du capitaine Nemo en est un bel exemple. Dans Vingt mille lieues sous les mers (1870), alors que le capitaine regrette la dure vie des pêcheurs de perles et que le professeur Aronnax parle lui -même d’ « un triste métier, et qui ne sert qu’à la satisfaction de quelques caprices », le lecteur découvre avec émerveillement, une perle à nulle autre pareille 

Une perle libre dont la grosseur égalait celle d’une noix de cocotier. Sa forme globuleuse, sa limpidité parfaite, son orient admirable en faisaient un bijou d’un inestimable prix.

Cette perle n’a pas été reproduite par l’illustrateur qui n’offre à notre regard que le « tridacne » qui la cultive patiemment. Cette « superbe curiosité naturelle et non bijou de luxe » n’appartient qu’à l’animal qui le produit et seul Nemo pourra en la transportant « un jour dans son précieux musée » l’admirer à loisir. Il saura en savourer le spectacle, sans se laisser corrompre par l’idée d’une quelconque valeur financière.  

Je m'approchai de ce mollusque phénomènal
Je m'approchai de ce mollusque phénomènal |

© Ville de Paris / Fonds Heure joyeuse