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Formes, ordre et écriture des lettres de l’alphabet coréen

Page du Tongguk chŏngun utilisant l’alphabet coréen han’gŭl (ŏnmun)
Page du Tongguk chŏngun utilisant l’alphabet coréen han’gŭl (ŏnmun)

© Cultural Heritage Administration of the Republic of Korea / 위키미디어 공용 (Wikimedia Commons)

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La raison d’être, la conception et le fonctionnement de l’alphabet coréen sont expliqués dans le Sons corrects pour l’instruction du peuple (Hunmin chŏngŭm 訓民正音, 1446) préfacés par le roi Sejong (r. 1418-1450), complétés par l’Explication et exemples des Sons corrects pour l’instruction du peuple* (Hunmin chŏngŭm haeryebon 訓民正音解例本, 1146), préfacés par le lettré fonctionnaire Chŏng Inji (鄭麟趾, 1396-1478). Selon ce dernier, l’alphabet est simple au point de pouvoir être appris en une journée pour les plus avisés ou en une dizaine de jours pour les plus obtus.

Découvert en 1940 à Andong (安東), le Hunmin chŏngŭm haeryebon est inscrit au patrimoine national de la Corée du Sud comme trésor national n°70. Les deux ouvrages ont été inscrits en 1997 au Registre Mémoire du monde de l’UNESCO. Les explications relatives à l’alphabet coréen sont plus développées que dans le Hunmin chŏngŭm. En 2013, un nouvel exemplaire a été mis au jour dans la cache ventrale de statues bouddhiques du monastère de Kwanghŭng (廣興寺), également situé à Andong (prov. Kyŏngsang du N.). La découverte pose la question de la contribution de maîtres bouddhiques (et des théories linguistiques indiennes traitant des systèmes d’écriture) au projet d’alphabet du roi.

Le Hunmin chŏng’ŭm comporte 28 lettres : 17 consonnes et 11 voyelles. L’ordre des consonnes suit la théorie chinoise des « sept sons » qiyin (七音), qui associe des catégories de sons initiaux à des organes de l’appareil vocalique :
– 1, vélaires (litt. « sons des molaires » 牙音) : kiyŏk ㄱ ;
– 2, liquides (litt. « sons de la langue » 舌音) : ni’ŭn ㄴ ;
– 3, labiales (litt. « sons des lèvres » 唇音) : mi’ŭm ㅁ ;
– 4, dentales (litt. « sons des dents » 齒音) : si’ot ㅅ ;
– 5, laryngées (litt. « sons du larynx » 喉音) : i’ŭng ㅇ ;
– 6, latérales (litt. « sons de demi-langue » 半舌音) : ri’ŭl ㄹ ;
– 7, nasales palatisées (litt. « sens de demi-dentition » 半齒音) : panchi’ŭm ᅀ.

De fait, les consonnes correspondant aux cinq premiers de sept sons prennent modèle sur la forme des organes de phonation de l’appareil vocalique :
– le kiyŏk (ㄱ) : « la racine de la langue (牙) obstruant le larynx » ;
– le ni’ŭn (ㄴ) : « l’apex de la langue (舌) touchant l’envers des incisives » ;
– le mi’ŭm (ㅁ) : « la forme des lèvres » (vues de face 唇) ;
– le si’ot (ㅅ) : « la forme des dents » (齒) ;
– le i’ŭng (ㅇ) : « la forme du larynx » (喉).

L’ « intensité » de la prononciation de la consonne est marquée par l’adjonction d’un trait. Ainsi, kiyŏk donne k’iyŭk (ㄱ→ㅋ), ni’ŭn donne ti’ŭt (ㄴ→ㄷ) qui donne ri’ŭl (ㄷ→ㄹ) qui donne t’i’ŭt (ㄹ→ㅌ) ; mi’ŭm donne pi’ŭp (ㅁ→ㅂ) qui donne p’iŭp (ㅂ→ㅍ) ; si’ot donne chi’ŭt (ㅅ→ㅈ) qui donne ch’i’ŭt (ㅈ→ㅊ). De plus, quatre consonnes sont doublées pour marquer la glottalisation (ㄷ→ㄸ, ㅂ→ㅃ,ㅅ→ㅆ, ㅈ→ㅉ). Il existe une sous-catégorisation selon la « clarté » du son : entièrement clair ou trouble (淸濁), ou ni clair ni trouble ; ainsi, par exemple : ㄱ est « entièrement claire » (全淸), ㅋest « partiellement claire » (次淸), et ㄲ est « entièrement trouble » (全濁).

L’ordre des voyelles de base (non « yodisées » ou en « y- », non combinées ou non « diphtongues, triphtongues ») répond quant à lui à d’autres théories, principalement cosmologiques, associant les notions de yin-yang (陰陽), des « trois puissances » (三才, Ciel symbolisé par le point ㆍ, Terre, symbolisée par une ligne horizontale ㅡ, et Homme symbolisé par une ligne verticale ㅣ) et des cinq éléments (五行, constitutifs de la matière), mais aussi selon leur niveau d’ « ouverture » (闢闔). Ainsi, dans le Hunmin chŏngŭm, l’ordre des voyelles (ㆍ, ㅡ, ㅣ, ㅗ, ㅏ, ㅜ, ㅓ, ㅛ, ㅑ, ㅠ, ㅕ) est très différent de celui actuellement en vigueur en Corée du Sud (ㅏ, ㅑ, ㅓ, ㅕ, ㅗ, ㅛ, ㅜ, ㅠ, ㅡ, ㅣ).

Sur ces 28 lettres du Hunmin chŏng’ŭm, quatre sont actuellement tombées en désuétude : trois consonnes, yŏrin hiŭh (ᇹ), panch’iŭm (ᇫ), yet i’ŭng (ᇰ), et une voyelle arae a (ᆞ).

L’écriture de la langue coréenne à l’aide de l’alphabet coréen telle que définie dans le Hunmin chŏngŭm prend comme unité de base la syllabe ŭmjŏl ssŭgi (音節表記 ou mo’a ssŭgi 모아쓰기). La syllabe s’inscrit dans un carré imaginaire à l’intérieur duquel sont combinées (au maximum) trois catégories de lettres correspondant à un « son initial » ch’osŏng (初聲, correspondant aux consonnes 子音), un « son médian » chungsŏng (中聲, correspondant aux voyelles 母音), et un « son final » chongsŏng (終聲, correspondant aussi aux consonnes). Au cours de la première moitié du 20e siècle, des tentatives de généralisation d’ « écriture étalée » p’urŏssŭgi (풀어쓰기) ont été menées sans succès.

Outre le gain d’espace que représente ce type d’écriture par rapport à une écriture où l’unité graphique est la lettre, l’écriture syllabique du coréen est potentiellement multidirectionnelle (comme dans la presse imprimée), même si son emploi éditorial actuel est principalement horizontal (il était principalement vertical au début du 20e siècle). D’aucuns voient dans l’écriture syllabique du han’gŭl une influence de l’écriture des sinogrammes, mais d’autres modèles ont pu être pris en considération comme l’écriture du sanscrit, également syllabique.