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Page du Tongguk chŏngun utilisant l’alphabet coréen han’gŭl (ŏnmun)

Nouveauté et intérêt du Tongguk chŏngun
Page du Tongguk chŏngun utilisant l’alphabet coréen han’gŭl (ŏnmun)
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Première page du premier des six « rouleaux » des Rimes correctes du Pays de l’Est, le Tongguk chŏngun (東國正韻) fut achevé en 1447 et publié en 1448. L’ouvrage relève du genre chinois des « dictionnaires de sinogrammes classés par rimes » unsŏ (韻書) et non par « clé » ou « radical » (部首), utile pour la rédaction poétique (constituant un répertoire pour le choix des rimes). Toutefois, les « rimes correctes1 » de l’ouvrage ne correspondent pas aux rimes chinoises standard. Après la mise au point de l’alphabet coréen (ŏnmun 諺文) en 1443 et sa promulgation en 1446, il est en effet le premier dictionnaire de sinogrammes (environ 2000) classés selon leur prononciation (漢字音) sino-coréenne2 (東音) classée par un système original de « catégories de rimes » (韻目) représentées chacune par un sinogramme. De ce fait, ce dictionnaire, entièrement réorganisé par rapport à ses prédécesseurs, rendait caduque l’emploi de systèmes chinois de transcription phonétique préexistants tel que le système fanjie3 constituant un tournant dans la culture sinogrammique coréenne.

L’enjeu de la publication du Tongguk chŏngun

La publication en 1446 des Sons corrects pour l’instruction du peuple, le Hunmin chŏngŭm (訓民正音) qui promulgue l’usage de l’alphabet coréen parmi la population, révèle également la volonté de Sejong de fixer et d’unifier la prononciation sino-coréenne des sinogrammes alors utilisés par l’administration, l’État et la cour car, en dépit de la promulgation du ŏnmun, le chinois classique, hanmun (漢文, écrit en sinogrammes) demeurait comme langue officielle et le resta jusqu’à la fin du 19e siècle. L’édition du Tongguk chŏngun atteste que l’enjeu de la création de l’alphabet coréen – en plus du fait de doter le peuple d’un système d’écriture facile à apprendre – était aussi politique. Un usage standardisé de la prononciation des sinogrammes dans tout le royaume était en effet une condition du bon fonctionnement de l’État et des administrations, assurant une communication plus directe et plus efficiente entre le souverain et le peuple et garantissant en théorie des conditions plus égalitaires de passage du concours de recrutement des fonctionnaires.

Le classement des sinogrammes selon l’alphabet coréen dans le Tongguk chŏngun

Dans les Rimes correctes du Pays de l’Est, le sens des sinogrammes n’est pas expliqué. En revanche, il répertorie d’éventuelles prononciations multiples d’un même sinogramme4 et chaque syllabe est classée selon le système des quatre tons chinois5 (selon l’ordre : ton plat 平聲, ton montant 上聲, ton sortant 去聲 et tont entrant 入聲).
Les sinogrammes sont classés selon un système inédit à plusieurs niveaux :
– 1er niveau : 26 « catégories de rimes » (韻目) répertoriées dans la table des matières ;
– 2e niveau : 91 rimes (韻) représentant les « sons finaux » de la prononciation syllabique sino-coréenne (son médian 中聲 + son final 終聲) ;
– 3e niveau : classement par voyelle du coréen (pour les voyelles de base, selon l’ordre suivant :ᆞ, ㅡ, ㅣ, ㅗ, ㅏ, ㅜ, ㅓ) notée en alphabet coréen (son médian des syllabes du coréen) ;
– 4e niveau : 23 subdivisions (ou moins) représentées chacune par un sinogramme (dans un cadre noir) dont le son initial correspond aux consonnes de l’alphabet coréen6.

À titre d’exemple, la première page du premier rouleau du Tongguk chŏngun présente les divisions suivantes :
– 1er niveau : 긍, 극
– 2e niveau : son médian (ㅡ) et son final (ㅇ, ㄱ)
– 3e niveau : ㄱ, ㅋ, ㄲ, ㄷ, ㅌ, ㄸ, ㄴ, ㅂ, ㅍ, ㅃ, ㅁ, ㅈ, ㅊ, ㅉ, ㅅ, ᇹ, ㅎ, ㅇ, ㄹ, ᅀ.  

Exemples de sinogrammes de la page

Prononciation           Syllabe (ton)               Sinogramme

kŭng                           긍 (平, 去)                  揯, 亙

kŭk                              극 (入)                        亟

k’ŭng                           킁 (上)                        肯

k’ŭk                             큭 (入)                        克

kkŭng                         끙 (平)                        兢

kkŭk                            끅 (入)                        極

Enfin, il faut remarquer que les Rimes correctes du Pays de l’Est sert également d’ouvrage de référence pour la graphie des sinogrammes en usage en Corée dans la mesure où il note les variantes graphiques (éventuelles) pour chaque sinogramme (où l’on suppose que la première graphie est régulière). Plusieurs catégories de rimes du Tongguk chŏngun devinrent caduques, si bien que l’ouvrage n’aurait plus été en usage dès le début du 16e siècle. L’ordre des consonnes et des voyelles utilisé dans le Tongguk chŏngun est différent de l’ordre actuel, fixé au 20e siècle (1933), le dictionnaire n’est donc aujourd’hui utilisé que par les spécialistes de l’histoire de la langue coréenne.

Le Tongguk chŏngun en tant qu’objet et patrimoine

Le Tongguk chŏngun fut compilé en 1447 par de hauts fonctionnaires (dont une partie participèrent officiellement à la mise au point de l’alphabet coréen) et préfacé par Sin Sukchu (申叔舟, 1417-1475). Les exemplaires conservés avant 1972 étaient incomplets jusqu’à la découverte à Kangnŭng (province du Kangwŏn) d’un exemplaire complet (6 rouleaux en 6 volumes) imprimé en types bois pour les grands caractères (et pour les petits caractères, en type métallique de la fonte de 1434 甲寅字), actuellement conservé au musée de l’Université Konkuk à Séoul. Il a été inscrit au patrimoine culturel sud-coréen comme Trésor national n°142.

NOTES
1. Le terme « rimes correctes » fait référence à un dictionnaire chinois des Ming (1368-1644) publié en 1375 et dont le titre était Rimes correctes de l’ère Hongwu, Hongwu zhengyun (洪武正韻) mentionnant l’ère Hongwu (1368-1398), qui définissait la norme chinoise de la prononciation des sinogrammes.
2. La prononciation sino-coréenne des sinogrammes est toujours monosyllabique et reproduit la prononciation chinoise des périodes des Tang et des Song (voire plus anciennes), mais de manière adaptée à la phonologie de la langue coréenne.
3. Le système de transcription phonétique fanqie (反切) consiste à noter la prononciation d’un caractère chinois à l’aide de deux sinogrammes (donc phonogrammes) : le premier indiquant le « son initial » (聲), le second, le « son final » (韻).
4. Le phénomène est marginal pour la prononciation sino-coréenne (moins de 10% des caractères sino-coréens hancha).
5. La langue coréenne, à la différence du chinois, n’a pas de variation tonale (聲調).
6. Il s’agit exactement des mêmes sinogrammes pour noter phonétiquement les catégories de consonnes que ceux utilisés dans le Hungmin chŏngŭm.

  • Date
    Entre 1446 et 1448
  • Lieu
    Corée
  • Provenance

    Fondation Gansong d’art et de culture (간송미술)
    Avec le soutien des Cultural Heritage Administration of the Republic of Korea, Overseas Korean Cultural Heritage Foundation

  • Lien permanent
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