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Le mystère de l’écriture de l’Île de Pâques

L’île de Pâques
L’île de Pâques

© Bibliothèque nationale de France

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L’Île de Pâques recèle de nombreux mystères. Si la question des Moai, ces grandes sculptures tournées vers la mer, continue d’intriguer, l’écriture trouvée dans le même contexte n’a toujours pas été déchiffrée…

L’écriture de l’île de Pâques

Signalée pour la première fois par Joseph Eugène Eyraud en 1864, l’écriture de l’île de Pâques reste non déchiffrée. La variété des versions de déchiffrement proposées depuis la découverte de ces textes gravés sur bois, les fameux kohau rongorongo, a plutôt discrédité cette écriture et justifié le scepticisme initial des spécialistes de l’histoire des écritures. Il est en effet difficile de croire à la naissance magique d’une écriture sur une petite île perdue au milieu du Pacifique et complètement isolée des contacts culturels pendant plusieurs siècles, surtout en l’absence de la moindre trace de savoir écrire dans l’espace polynésien.

Arguments en faveur d’une écriture pascuane

Plusieurs arguments indiquent cependant qu’il s’agirait d’une véritable écriture transcrivant probablement une langue du groupe polynésien. La ressemblance entre les paramètres statistiques très variés de l’écriture, d’un côté, et ceux de la langue rapanui, de l’autre, est telle qu’on ne peut pas croire au hasard. À côté de ces éléments statistiques, deux autres arguments témoignent en faveur de l’écriture pascuane.

– Pratiquement, chacun des signes trouvés dans les textes a une forme standardisée qui peut facilement être identifiée, ce qui constitue un indice très clair de la présence d’une écriture ;

– Chacun des textes comporte de multiples fragments, composés de suites assez longues de signes se répétant dans d’autres textes avec une exactitude frappante, ce qu’on ne retrouve jamais dans les systèmes non phonétiques de transcription des messages. Trois textes (H, P et Q), quasiment identiques, présentent des petites différences qui sont tout à fait régulières.

Hypothèses concernant l’origine de l’écriture pascuane

D’après les légendes, les premiers habitants sont arrivés sur l’île avec des centaines des tablettes de bois contenant des textes. Les auteurs de plusieurs ouvrages indiquent que l’île a été peuplée au 4e siècle apr. J.-C. Les dernières recherches archéologiques et paléobotaniques reportent cette date au 11e siècle. Cela signifie que l’écriture existerait depuis au moins un millénaire. Point faible de cette hypothèse : jusqu’à aujourd’hui, aucune autre trace de l’existence d’une écriture en Polynésie n’a été trouvée.

Selon S. Fisher, la naissance de l’écriture aurait été inspirée par des Espagnols arrivés sur l’île en 1770. Cela suppose qu’en un siècle seulement (jusqu’aux années 1870) l’écriture a franchi toutes les phases, de sa naissance à sa mort. L’hypothèseintrigue ; par exemple, le signe n° 680 qui représente l’image d’un oiseau à deux têtes est interprété par S. Fisher comme un signe inspiré de l’aigle bicéphale de la Russie, vu sur les drapeaux d’un bateau russe au début du 19e siècle et apprécié par des Pascuans.
Cependant, cette hypothèse n’est pas très convaincante : les multiples systèmes tardifs d’écriture, dont les créateurs connaissaient les principes des écritures européennes, se caractérisent tous par une grande unification des signes, beaucoup plus grande que celle qu’on trouve sur l’île de Pâques. De plus, le caractère phonématique ou syllabique de ces écritures secondaires est toujours beaucoup plus marqué.

Les résultats de l’analyse structurale indiquent plutôt que l’écriture rapanui s’est développée durant une période beaucoup plus longue de quelques siècles et dans des conditions beaucoup plus naturelles. Il n’est pas exclu qu’au 19e siècle elle ait perdu sa fonction initiale. Plusieurs arguments fondés permettent de croire qu’à cette époque on a continué de copier scrupuleusement des textes dont le vrai sens avait été perdu. Par exemple, il est très probable que le texte Q représente une copie du texte H. Les tablettes ont commencé à jouer un rôle purement rituel. On a créé des écoles pour les interpréter, mais le savoir lire a été perdu bien avant la catastrophe démographique et culturelle des années 1860.

Les perspectives de déchiffrement de l’écriture de l’île de Pâques

Le répertoire, estimé par Thomas Barthel
Le répertoire, estimé par Thomas Barthel

Quelles sont les perspectives de déchiffrement ? En l’absence de « pierre de Rosette », de systèmes d’écritures apparentés et d’autres éléments qui pourraient servir de clé directe au déchiffrement, l’analyse statistique devient l’instrument le plus efficace. Mais il est clair que les résultats de cette analyse dépendent directement du répertoire des signes.

Le répertoire, estimé par Thomas Barthel à 600 signes et vraisemblablement limité à une cinquantaine de signes d’usage courant, ne permet pas de penser qu’un signe codifie un mot. Ce nombre limité de signes est plutôt l’indice d’une écriture syllabique. Toutefois, il faut remarquer que les caractéristiques de quelques signes ne correspondent pas aux paramètres statistiques des syllabes dans la langue rapanui. Il n’est pas exclu que ces signes indiquent des mots ou bien représentent des signes déterminatifs.

Les caractéristiques essentielles de l’écriture de l’île de Pâques

Le corpus disponible comprend vingt-cinq textes contenant à peu près 17 000 signes.

La plupart des textes sont gravés sur des tablettes en bois avec une technique de boustrophédon renversé. Un des textes est gravé sur un bâton.

Le répertoire des signes est très limité : 55 signes, sans compter ceux qui n’apparaissent qu’une seule fois dans le corpus. Cela signifie que la plupart des signes sont syllabiques. Les données statistiques confirment cette conclusion avec une grande certitude.

Les mots sont séparés par des espaces.

Quelques signes ou bien quelques groupes de signes semblent être des déterminatifs ou des compléments phonétiques.

Le corpus des textes contient notamment une soixantaine de mini-textes (suites de trente à cent cinquante signes) qui se retrouvent dans plusieurs textes avec des combinaisons différentes.

Chaque texte représente une mosaïque d’une quinzaine de ces mini-textes.

Cette structure interdit de penser qu’il s’agit de « vrais » textes (par exemple des mythes, des légendes, etc.). Ce sont plus probablement des listes : des généalogies ou autres listes de noms, des unités de calendrier, des noms de figures de kaikai (figures de ficelle), etc.

L’écriture de l’île de Pâques doit être classée comme une écriture non encore déchiffrée.