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Diderot et la philosophie dans l'Encyclopédie

Portrait de Denis Diderot
Portrait de Denis Diderot

© Blbliothèque nationale de France

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Le chantier encyclopédique qui occupe Diderot durant presque vingt ans, de la fin des années 1740 à la fin des années 1760, s'inscrit dans le double sillage de son travail de traducteur et de philosophe.

Le projet lancé par le libraire Le Breton et ses trois associés est à l'origine celui d'une traduction du dictionnaire anglais de Chambers, la Cyclopaedia, pour laquelle Diderot est recruté avant tout comme traducteur et adaptateur. Mais rapidement, un projet personnel plus ambitieux se déploie depuis le modèle anglais. 

Qu'en auraient donc pensé nos Français, sur une traduction pure et simple ? Il eût excité l'indignation des savants et le cri du public, à qui on n'eût présenté, sous un titre fastueux et nouveau, que des richesses qu'il possédait depuis longtemps.

Diderot, Prospectus de souscription pour l'Encyclopédie, 1750

Diderot reste philosophe dans ce qu'il rédige, que ce soit le prospectus, véritable manifeste des Lumières, l'article « Encyclopédie », théorie de l'œuvre en train de se faire, et dans la suite d'articles d'histoire de la philosophie qui ont été regroupés dès 1769 sous le titre d'Histoire générale des dogmes et opinions philosophiques depuis les plus anciens temps jusqu'à nos jours et que Naigeon a repris en 1798 dans les œuvres de Diderot. De « Acousmatiques » (disciples de Pythagore) à « Zend-Avesta » (recueil de la philosophie de Zoroastre), ces articles sont le plus souvent tirés de l'Historia critica philosophiae de Brucker, mais constituent à leur manière une œuvre originale de Diderot. En recensant les aberrations de l'esprit humain, il montre aussi l'obstination de celui-ci à cheminer à travers les pires erreurs jusqu'au vrai. La leçon qui s'en dégage est, une fois de plus, de relativité et de tolérance.

On ne s'étonne pas que Diderot souscrive plus ou moins discrètement à la physique des épicuriens dont la distinction entre mouvement local et tendance ou mouvement latent devient un élément essentiel de son propre matérialisme durant ces années. On comprend qu'il se reconnaisse dans ce qu'il nomme l'éclectisme, mouvement né à Alexandrie qu'il prolonge jusqu'à Bacon et Descartes.

L'éclectisme, cette philosophie si raisonnable, qui avait été pratiquée par les premiers génies longtemps avant d'avoir un nom, demeura dans l'oubli jusqu'à la fin du 16e siècle. Alors la nature, qui était restée si longtemps engourdie et comme épuisée, fit un effort, produisit enfin quelques hommes jaloux de la prérogative la plus belle de l'humanité, la liberté de penser par soi-même.

Diderot, « Éclectisme », Encyclopédie

Il est plus étonnant qu'il fasse une présentation positive des théosophes et de ceux qui, regardant la raison avec pitié, se prétendent « éclairés par un principe intérieur, surnaturel et divin » qui brillerait en eux. Il leur reconnaît une sensibilité particulière, une capacité à saisir des liaisons subtiles qui peuvent s'expliquer mais qui échappent généralement. Il fait de ces alchimistes et de ces astrologues des philosophes-artistes, des rêveurs sublimes mêlant les intuitions les plus profondes aux folies les plus creuses. « Ô que le génie et la folie se touchent de près ! »

L'Encyclopédie a sans doute représenté pour Diderot une charge accablante, mais elle a aussi constitué un stimulant sans précédent et une forme d'écriture discontinue originale.