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Les étapes du voyage en Orient

Égypte, Palestine, Syrie, Turquie
Derviches tourneurs
Derviches tourneurs

© Bibliothèque nationale de France

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Entre esprit de conquête et nostalgie, le voyage en Orient suit un itinéraire tracé par Flaubert et Maxime du Camp, qui varie peu malgré le développement du tourisme et les évolutions politiques : l'Égypte des pharaons, la Palestine judéo-chrétienne, la Syrie et le Liban aux vastes paysages et Istanbul, la cosmopolitaine.

L'Égypte

La première destination du « Voyage » est aussi la plus prisée des Occidentaux. L'Égypte occupe en effet une place d'exception dans le cœur et l'imaginaire des Français. De la campagne de Bonaparte à l'inauguration du canal de Suez, en passant par les travaux de Champollion et Mariette, le 19e siècle a bien été celui de l'« égyptomanie ». C'est que la plus ancienne des civilisations de la Méditerranée orientale est aussi la dernière à avoir été redécouverte : l'univers plein de majesté et de mystère, que révèlent peu à peu les fouilles archéologiques, est propre à exciter la curiosité scientifique et intellectuelle. Les photographes, dès le début, partent sur le terrain pour mettre leur savoir-faire au service de la science et, grâce à leurs images, nous pouvons voir aujourd'hui les différents états des chantiers et découvrir ainsi le Sphinx encore à demi enfoui sous le sable du désert.

Vestiges antiques et rivages du Nil restent longtemps les sujets de prédilection. Mais à mesure qu'on exhume le passé pharaonique se dessine, sur le modèle occidental, une nouvelle Égypte, forgée par la lente mais sûre conquête des Européens. La photographie commerciale se développe alors, proposant aux touristes de passage d'autres aspects, plus pittoresques ou ethnologiques. Sous le regard des nouveaux occupants, c'est une Égypte de nécropoles et de momies autant qu'une terre d'enjeux économiques qui se dévoile au public ; un pays dont la vieille tradition musulmane se trouve bouleversée par la double émergence de l'héritage antique et du modernisme.

À la fin du siècle, sous le protectorat anglais, le développement des filatures de coton, de la Compagnie de Suez, des agences de tourisme, sans compter la confiscation des vestiges antiques, finissent de métamorphoser le visage d'une Égypte dont Pierre Loti ou Louis Bertrand déplorent la violation.

La Palestine

La Palestine constitue l'étape essentielle, celle où le voyage devient pèlerinage. C'est le retour au berceau du christianisme, à la Terre promise, aux lieux mythiques foulés par Jésus et les prophètes, de Bethléem à Gethsémani, du mont Sinaï au Golgotha. Chacun, qu'il soit agnostique ou croyant, est touché par l'émotion indicible suscitée par les images des histoires saintes de son enfance. L'impression qui domine est celle d'immuabilité, le sentiment diffus que rien n'a changé depuis la venue du Christ. C'est cette atmosphère intemporelle que cherchent à transmettre les photographes, qui s'attachent à plonger le spectateur dans un univers biblique.

Jérusalem, trois fois sainte, ville sacrée par les juifs, les chrétiens et les musulmans, est la cible des objectifs. Pour les voyageurs, cependant, elle ne tient pas toujours ses promesses. La mode du pèlerinage en Terre sainte qui se développe au 19e siècle en a fait un intense pôle touristique, sorte de Lourdes à la fois orientale et internationale. Les divisions religieuses, les enjeux de pouvoir auxquels se livrent les grandes puissances donnent l'impression d'une « foire du sacré » et les visiteurs préfèrent s'évader dans les sites préservés de Samarie ou de Galilée où ils peuvent retrouver le décor inchangé des scènes évangéliques. Les paysages, chargés de raviver le souvenir, sont comme transfigurés par la magie des noms et le pèlerinage s'apparente à un rituel évocatoire.

Les récits contrastés des voyageurs concordent tous sur l'aspect authentique des lieux et des hommes, comme si le temps ne s'était jamais arrêté : « Sans qu'il soit besoin de grimer personne ni de rien reconstituer, c'est le rêve des origines convoqué par le médium de la modernité » (Sylvie Aubenas).

La Syrie et le Liban

La Syrie et le Liban sont les régions les moins touchées par le tourisme et l'occidentalisation. L'histoire mouvementée de ces deux pays, soumis à des invasions successives, pourrait se résumer à une quête acharnée et souvent vaine de l'indépendance. Mais la situation géographique et le relief particulièrement accidenté de ces régions, coincées entre l'Égypte, la Palestine et l'Empire ottoman, n'en facilitent ni l'accès, ni la pacification et elles demeurent durant des siècles le théâtre de luttes et d'enjeux de pouvoir. Ces aspects physiques et politiques expliquent en partie la désaffection des archéologues au 19e siècle, qui concentrent l'essentiel de leurs efforts sur l'Égypte, la Palestine et la Mésopotamie, berceaux, dans tous les esprits, des plus anciennes civilisations.

Ainsi, l'émotion du voyageur face aux vestiges antiques est-elle proche de celle du « découvreur ». Pétra, encerclée par des tribus dangereuses, est en effet à peine visitée ; les quarante-deux heures de voyage à dos de chameau que nécessite la découverte de Palmyre en découragent plus d'un. C'est Baalbek qui est le site le plus fréquenté : la colonnade du temple de Jupiter est décrite avec émotion dans nombre de récits de voyage et les photographes multiplient les prises de vues pour témoigner des impressions vertigineuses ressenties par le visiteur.

Le Liban, lieu d'affrontements incessants entre chrétiens et musulmans, est cher au cœur des Français et Lamartine prendra même fait et cause pour le système des communautés religieuses. Les dix-sept communautés – dont la plus célèbre est celle des maronites –, qui se partagent le pays, sont pour les voyageurs à la fois l'occasion d'une redécouverte des Églises primitives orientales et l'objet d'une curiosité ethnographique.

Les paysages de montagne, vus par Lamartine comme « les Alpes sous un ciel d'Asie », ont des réminiscences européennes et procurent, après la torpeur aride des déserts, une sensation d'apaisement. En revanche, l'étape obligée dans les villes (Beyrouth, Tripoli et Damas), dont on vante les splendides alentours, est souvent une déception. Ainsi, les photographes préfèrent-ils les vastes panoramas aux scènes citadines.

Constantinople

Istanbul (que l'on nomme encore Constantinople) constitue en général la dernière étape du voyage avant le retour par la Grèce et l'Italie. Rares sont les voyageurs qui se hasardent en dehors de la ville, qui est à elle seule un univers séduisant. Souvent appelée capitale de l'Orient, c'est cependant la plus occidentale des cités de la Méditerranée orientale. De nombreux Européens y séjournent et en 1890, grâce à l'Orient-Express, il ne faut plus que trois jours pour faire Paris-Istanbul. Ce développement du tourisme favorise très rapidement l'installation de photographes dans la ville.

Le voyageur du « Grand Tour », harassé par la traversée de régions parfois inhospitalières, peut s'y reposer dans des conditions comparables à celles de Rome ou de Venise, tout en s'imprégnant de la culture locale. Si l'Orient turc ne présente aucun vestige antique, le fantôme de Byzance guette toutes les mémoires. La splendeur archaïque des mosaïques du christianisme primitif, alliée à la finesse de l'ornementation islamique, offre au voyageur des motifs propres à susciter une émotion à la fois visuelle et psychologique.

Les réminiscences littéraires affluent et nombreux sont les clichés qui alimentent la rêverie autour de Constantinople : la puissance ottomane, la Cité interdite du sultan, le mystère des sérails, du Bajazet de Racine à La Grande Odalisque d'Ingres.

Si quelques vues semblent prises sur le vif, notamment les scènes de rues et les monuments, beaucoup de photographies sont envahies de poncifs, notamment tout ce qui concerne la femme turque. Les derviches tourneurs, s'ils font partie du folklore local, offrent un spectacle fascinant : « C'est crâne, la gueule vous en pète », dira Flaubert. Cependant, la photo semble ici impuissante à traduire le mouvement lancinant si bien décrit par l'écriture et la musique.

Byzance, Constantinople, Istanbul, ou encore Stamboul : tous ces noms reflètent la diversité colorée de cette capitale aux mille facettes, ultime frontière entre Orient et Occident, dont Pierre Loti saura si bien rendre l'atmosphère.

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