Découvrir, comprendre, créer, partager

Anthologie

Les humanistes et les ruines de Rome

Nulle part on ne connaît moins Rome qu’à Rome même

François Pétrarque, lettre à Giovanni Colonna, 1341

Y a-t-il en effet aujourd’hui des gens plus ignorants du passé de Rome que les citoyens de Rome ? Je le dis à contrecœur : nulle part on ne connaît moins Rome qu’à Rome même. Et à ce sujet je ne déplore pas seulement l’ignorance – qu’y a-t-il cependant de pire que l’ignorance ? – mais la fuite et l’exil de nombreuses vertus. Qui pourrait douter que Rome se relèvera sur-le-champ, si elle commence à se connaître ? Mais je réserve ces lamentations pour une autre occasion. Donc nous avions coutume, à cause de la fatigue que nous avaient causée nos promenades à travers cette immense ville, de nous arrêter assez souvent aux Thermes de Dioclétien, de monter quelquefois sur la voûte de cet édifice autrefois d’une si grande magnificence, parce que nulle part ailleurs l’air n’est plus salubre, la vue plus étendue, le silence et la solitude plus agréables. Nous n’y disions absolument pas un mot de nos occupations, de nos problèmes particuliers et de ceux de l’État – il suffit d’avoir pleuré sur eux une fois. En parcourant les murailles de cette ville déchue et, en nous y asseyant, nous avions sous les yeux les restes de ses ruines.

François Pétrarque, lettre à Giovanni Colonna, 1341
Édition avec traduction française : Pétraque, Lettres familières, Tome II, Livres IV-VII, trad. C. Carraud et F. La Brasca, Paris, Les Belles Lettres, 2002, n° VI, 2.

Mots-clés

  • 14e-15e siècles
  • Rome
  • Littérature
  • Histoire de l'art
  • Renaissance et humanisme
  • Pétrarque
  • Lien permanent
    ark:/12148/mmf3n95c02w98

D’or jadis, aujourd’hui hérissé d’épines et encombré de buissons
 

Poggio Bracciolini, Les ruines de Rome, 1432-1435

Il y a quelque temps, comme le pape Martin V, peu avant sa mort, s’était retiré, pour raison de santé, dans son domaine de Tusculum, et que nous étions donc libres de toute charge et de tout souci officiel, nous venions souvent contempler, l’illustre Antonio Loschi et moi-même, les solitudes de la Ville, et devant l’ancienne grandeur des monuments effondrés et l'immensité des ruines de la cité antique, devant l’ampleur de la chute d’un tel empire, nous admirions du fond de l’âme la stupéfiante et affligeante inconstance de la fortune. Un jour que nous avions gravi les pentes de la colline du Capitole et qu’Antonio, fatigué de chevaucher, aspirait, comme moi, à se reposer, nous descendîmes de cheval et nous assîmes sur les ruines même de la citadelle tarpéienne, derrière ce qui me parut être l’énorme seuil de marbre de la porte d’un temple, parmi les colonnes brisées, répandues en grand nombre alentour, en un lieu d’où s’ouvre une large perspective sur la Ville. Antonio, après avoir promené un moment, çà et là, ses regards, soupira et, comme stupéfait, dit alors : « Quelle distance, Poggio, entre ce Capitole et celui que chanta notre Virgile, ‘D’or aujourd’hui, jadis hérissé de buissons sauvages’. Ce vers, on pourrait à bon droit le retourner ainsi : ‘d’or jadis, aujourd’hui hérissé d’épines et encombré de buissons’. »

Poggio Bracciolini, Les ruines de Rome, 1432-1435
Édition avec traduction française : Poggio Bracciolini, Les ruines de Rome (De varietate Fortunae), éd. et trad. J.-Y. Boriaud, Paris, Les Belles Lettres, 1999.

Mots-clés

  • 14e-15e siècles
  • Rome
  • Littérature
  • Histoire de l'art
  • Renaissance et humanisme
  • Lien permanent
    ark:/12148/mmhnqd2k54hsf

Rome, mère des génies, nourrice des vertus

Biondo Flavio, Rome restaurée, 1444-1446 (préface au pape Eugène IV)

Mainte raison nous incite à rétablir, Très Saint Père Eugène, dans la mesure de nos capacités, la connaissance des édifices ou plutôt des ruines aujourd’hui visibles de la ville de Rome, maîtresse du monde. Mais la principale, c’est que les hommes des siècles précédents ont vécu dans une telle ignorance des études d’humanité, que non seulement la foule inculte mais même les savants n’ont qu’une connaissance infime des parties des édifices qui se dressaient jadis au cœur même de la ville, et que beaucoup d’entre eux, pour ne pas dire tous, sont, nous le constatons, souillés ou plutôt déshonorés par des appellations erronées et barbares. D’où il est clair qu’à brève échéance, Rome, mère des génies, nourrice des vertus, miroir de la notoriété, colonne de la renommée et de la gloire et pépinière de toutes les richesses dont regorge l’univers, ayant perdu ses fondations, subira en renommée et en gloire une perte encore plus grave que celle dont nous voyons qu’elle fut frappée jadis dans sa puissance matérielle. Nous nous sommes en outre vu conforté dans notre dessein de décrire la ville par Ton retour au siège même de Ton pontificat, retour si utile et nécessaire à sa conservation, que, si tu avais attendu dix ans de plus, la ville épuisée par la vieillesse et par les catastrophes, était condamnée à périr presque jusqu’au fondement. Et en effet, non content d’aider les Romains par la seule présence de la Curie qui T’entoure, ce qui a toujours beaucoup contribué à la prospérité de la ville, en plus d’un endroit, Tu restaures et rebâtis à grands frais les monuments écroulés ou défigurés ; action honorable, certes, et tout à fait digne d’un prince magnanime et qui surpasse d’autant en renommée et en gloire les constructions de monuments et les fondations d’édifices réalisés alors que Rome était florissante, que l’indigence de notre siècle le cède à la prodigieuse affluence de ressources des Anciens.

Biondo Flavio, Rome restaurée, 1444-1446 (préface au pape Eugène IV)
Édition avec traduction française : Flavio Biondo, Rome restaurée : Roma Instaurata. Tome II Livres II et III, éd. et trad. A. Raffarin, Paris, Les Belles Lettres, 2012.
 

Mots-clés

  • 14e-15e siècles
  • Rome
  • Littérature
  • Histoire de l'art
  • Renaissance et humanisme
  • Lien permanent
    ark:/12148/mmsn6992ddg3w

Des vieux Romains les poudreuses reliques

Joachim Du Bellay, Les Antiquités de Rome, 1558

Au roi

Ne vous pouvant donner ces ouvrages antiques
Pour votre Saint-Germain, ou pour Fontainebleau,
Je vous les donne (Sire) en ce petit tableau
Peint, le mieux que j’ai pu, de couleurs poétiques :

Qui mis sous votre nom devant les yeux publiques,
Si vous le daignez voir en son jour le plus beau,
Se pourra bien vanter d’avoir hors du tombeau
Tiré des vieux Romains les poudreuses reliques.

Que vous puissent les Dieux un jour donner tant d’heur,
De rebâtir en France une telle grandeur
Que je la voudrais bien peindre en votre langage :

Et peut-être qu’alors votre grand’Majesté,
Repensant à mes vers, dirait qu’ils ont été
De votre monarchie un bienheureux présage.

Joachim Du Bellay, Les Antiquités de Rome, 1558
Édition : Joachim Du Bellay, Les Regrets suivis des Antiquités de Rome et du Songe, éd. F. Roudaut, Paris, Le Livre de Poche, 2002.
 

Mots-clés

  • 16e siècle
  • Rome
  • Littérature
  • Histoire de l'art
  • Renaissance et humanisme
  • Lien permanent
    ark:/12148/mm3g2rgtqpts1