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Faust dans la prison de Marguerite

Illustrations du Faust de Gœthe par Eugène Delacroix
Faust dans la prison de Marguerite
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Faust tente de convaincre Marguerite de le suivre. Devenue folle, Marguerite le prend pour le bourreau et demande à nourrir l'enfant qu'elle dit pourtant avoir tué. Méphistophélès s'impatiente à grands gestes de ces tergiversations car l'aube pointe par la fenêtre grillagée. Marguerite reconnaît le Diable. Elle meurt, « jugée » dira Méphisto, « sauvée » répondra une voix d'en haut. Faust suivra seul son mauvais génie qui n'a gagné la partie qu'à moitié.

Delacroix n'a pas voulu illustrer la morale finale de l'histoire qui voit le Bien triompher du Mal : il reste en mouvement, alors que le destin des protagonistes n'est pas encore fixé.

Texte de Goethe traduit par Gérard de Nerval

[...] Faust (se jetant à ses pieds) : Ton amant est à tes pieds, il cherche à détacher tes chaînes douloureuses.
Marguerite (s'agenouillant aussi) : Oh ! oui, agenouillons-nous pour invoquer les saints ! Vois sous ces marches, au seuil de cette porte. c'est là bouillonne l'enfer ! et l'esprit du mal, avec ses grincements effroyables. Quel bruit il fait !
Faust (plus haut) : Marguerite ! Marguerite !
Marguerite (attentive) : C'était la voix de mon ami ! (Elle s'élance, les chaînes tombent.) Où est-il ? je l'ai entendu m'appeler. Je suis libre ! personne ne peut me retenir, et je veux voler dans ses bras, reposer sur son sein ! Il a appelé Marguerite, il était là sur le seuil. Au milieu des hurlements et du tumulte de l'enfer, à travers les grincements, les rires des démons, j'ai reconnu sa voix si douce, si chérie !
Faust : C'est moi-même !
Marguerite : C'est toi ! redis-le encore ! (Le pressant contre elle.) C'est lui ! lui ! Où sont mes douleurs ? Où sont mes angoisses de la prison ? où sont mes chaînes ? ...C'est bien toi ! tu viens me sauver. Me voilà sauvée ! – La voici, la rue où je te vis pour la première fois ! voilà le jardin où Marthe est moi t'attendîmes.
Faust (s'efforçant de l'entraîner) : Viens ! viens avec moi !
Marguerite : Oh ! reste ! reste encore. j'aime tant à être où tu es !
Faust : Hâte-toi ! nous payerons cher un moment de retard !
Marguerite : Quoi ! tu ne peux plus m'embrasser ? Mon ami, depuis si peu de temps que tu m'as quittée, déjà tu as désappris à m'embrasser ? Pourquoi dans tes bras suis-je si inquiète ?. quand naguère une de tes paroles, un de tes regards, m'ouvraient tout le ciel et que tu m'embrassais à m'étouffer. Embrasse-moi donc, ou je t'embrasse moi-même ! (Elle l'embrasse). O Dieu ! tes lèvres sont froides, muettes. Ton amour, où l'as tu laissé ? qui me l'a ravi ? (Elle se détourne de lui).
Faust : Viens ! suis-moi ! ma bien-aimée, du courage ! Je brûle pour toi de mille feux ; mais suis-moi, c'est ma seule prière !
Marguerite (fixant les yeux sur lui) : Est-ce bien toi ? es-tu bien sûr d'être toi ?
Faust : C'est moi ! viens donc !
Marguerite : Tu détaches mes chaînes, tu me reprends contre ton sein. comment se fait-il que tu ne te détournes pas de moi avec horreur ? Et sais-tu bien, mon ami, sais-tu bien qui tu délivres ?
Faust : Viens ! viens ! la nuit profonde commence à s'éclaircir.
Marguerite : J'ai tué ma mère ! Mon enfant, je l'ai noyé ! il te fut donné comme à moi ! oui, à toi aussi. – C'est donc toi ! ... je le crois à peine. Donne-moi ta main. – Non, ce n'est point un rêve. Ta main chérie ! ... Ah ! mais elle est humide ! essuie-la donc ! il me semble qu'il y a du sang. Oh ! Dieu ! qu'as-tu fait ? Cache cette épée, je t'en conjure !
Faust : Laisse là le passé, qui est passé ! tu me fais mourir.
Marguerite : Non, tu dois me suivre ! Je vais te décrire les tombeaux que tu auras soin d'élever dès demain ; il faudra donner la meilleure place à m amère ; que mon frère soit tout près d'elle ; moi, un peu sur le côté, pas trop loin cependant, et le petit contre mon sein droit ?. Nul autre ne sera donc auprès de moi ! – Reposer à tes côtés, c'eût été un bonheur bien doux, bien sensible ! mais il ne peut m'appartenir désormais. Dès que je veux m'approcher de toi, il me semble toujours que tu me repousses ! Et c'est bien toi pourtant, et ton regard a tant de bonté et de tendresse !
Faust : Puisque tu sens que je suis là, viens donc !
Marguerite : Dehors ?
Faust : A la liberté
Marguerite : Dehors, c'est le tombeau ! c'est la mort qui me guette ! Viens ! ... d'ici dans la couche de l'éternel repos, et pas un pas plus loin. – Tu t'éloignes ! ô Henri ! si je pouvais te suivre !
Faust : Tu le peux ! veuille-le seulement, la porte est ouverte.
Marguerite : Je n'ose sortir, il ne me reste plus rien à espérer, et, pour moi, de quelle utilité serait la fuite ! Ils épient mon passage ! Puis, se voir réduite à mendier, c'est si misérable, et avec une mauvaise conscience encore ! C'est si misérable d'errer dans l'exil ! et d'ailleurs ils sauraient bien me reprendre.
Faust : Je reste avec toi !
Marguerite : Vite ! vite ! sauve ton pauvre enfant ! va, suis le chemin le long du ruisseau, dans le sentier, au fond de la forêt, à la gauche , où est l'écluse, dans l'étang. Saisis-le vite, il s'élève à la surface, il se débat encore ! sauve-le ! sauve-le !
Faust : Reprends donc tes esprits ; un pas encore et tu es libre !
Marguerite : Si nous avions seulement dépassé la montagne !Ma mère est là, assise sur la pierre. Le froid me saisit à la nuque ! Ma mère est là, assise sur la pierre, et elle secoue la tête, sans me faire aucun signe, sans cligner de l'œil, sa tête est si lourde, elle a dormi si longtemps ! ... Elle ne veille plus ! elle dormait pendant nos plaisirs. C'étaient là d'heureux temps !
Faust : Puisque ni larmes ni paroles ne font rien sur toi, j'oserait t'entraîner loin d'ici.
Marguerite : Laisse moi ! non, je ne supporterai aucune violence ! Ne me saisis pas si violemment ! je n'ai que trop fait ce qui pouvait te plaire.
Faust : Le jour se montre ! ... Mon amie ! ma bien-aimée !
Marguerite : Le jour ? Oui, c'est le jour ! c'est le dernier des miens ; il devait être celui de mes noces ! Ne va dire à personne que Marguerite t'avait reçu si matin. Ah ! ma couronne ! ... elle est bien aventurée ! ... Nous nous reverrons, mais ce ne sera pas à la danse. La foule se presse, on ne cesse de l'entendre ; la place, les rues pourront-elles lui suffire ? La cloche m'appelle, la baguette de justice est brisée. Comme ils m'enchaînent ! Comme ils me saisissent ! Je suis déjà enlevée sur l'échafaud, déjà tombe sur le cou de chacun le tranchant jeté sur le mien. Voilà le monde entier muet comme le tombeau.
Faust : Oh ! que ne suis-je jamais né !
Méphistophélès (se montrant dehors) : Sortez ! ou vous êtes perdus. Que de paroles inutiles ! que de retards et d'incertitudes ! Mes chevaux s'agitent, et le jour commence à poindre.
Marguerite : Qui s'élève ainsi de la terre ? Lui ! lui ! chasse-le vite ; que vient-il faire dans le saint lieu ?. C'est moi qu'il veut.
Faust : Il faut que tu vives !
Marguerite : Justice de Dieu, je me suis livrée à toi !
Méphistophélès (à Faust) : Viens ! viens ! ou je t'abandonne avec elle sous le couteau !
Marguerite : Je t'appartiens, père ! sauve-moi ! Anges, entourez-moi, protégez-moi de vos saintes armées ! ... Henri, tu me fais horreur !
Méphistophélès : Elle est jugée !
Voix (d'en haut) : Elle est sauvée !  
Méphistophélès (à Faust) : Ici, à moi ! (Il disparaît avec Faust)
Voix (du fond, qui s'affaiblit) : Henri ! Henri !

Bibliothèque nationale de France

  • Date
    1827
  • Lieu
    Paris
  • Auteur(es)
    Eugène Delacroix (1789-1863), lithographe
  • Description technique
    Lithographie, 41,6 x 28,5 cm
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la photographie, RESERVE DC-183 (N,5)-FOL

  • Lien permanent
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