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Du coufique au cursif

L’évolution des styles calligraphiques arabes
Versets du Coran en style coufique
Versets du Coran en style coufique

Bibliothèque nationale de France

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Les premières calligraphies islamiques, dites coufique, se signalent par leur caractère anguleux. Mais à partir du 10e siècle, des styles plus souples, cursifs, issus de l’écriture quotidienne, commencent à être employés à des fins ornementales.

Les écritures coufiques

Aux 7e et 8e siècles, les premiers Corans conservés sont copiés dans une écriture appelée higâzî. D’autres graphies, nommées coufiques (ou écritures abbassides anciennes), naissent au siècle suivant et s’éloignent fortement des écritures courantes. Largement répandues à travers l’ensemble du monde islamique, d’une grande variété d’aspect, les écritures coufiques parent le texte sacré d’un éclat incomparable.

Le style higâzî

Pendant plusieurs décennies, le Coran demeure le seul livre arabe copié dans un style appelé higâzi. Les paléographes retiennent ce nom pour désigner les plus anciennes variétés d’écritures livresques, par référence à la région où se trouvent La Mecque et Médine : ces écritures étaient déjà en usage au moment de l’apparition de l’islam. Dès la fin du 7e siècle, elles sont homogénéisées et retravaillées. Ces efforts coïncident avec l’extension de l’emploi de l’alphabet arabe au sein de l’empire : c’est à cette époque que le calife omeyyade ‘Abd al-Malik impose l’usage de l’arabe dans la chancellerie.

Premières écritures hijâzî
Premières écritures hijâzî |

© Bibliothèque nationale de France

Les styles abbassides

Le 8e siècle voit l’élaboration de nouveaux styles. Pour les désigner, l’appellation d’ « écritures abbassides anciennes » paraît préférable au traditionnel « coufique », qui correspond à un nombre important de graphies bien différenciées. Réservées à la copie du Coran, ces écritures se constituent en décalage par rapport à celle de l’usage quotidien. Le trait est fortement marqué ; la composante horizontale est soulignée, tandis que les éléments verticaux, ramenés autant que possible à des perpendiculaires, interviennent pour scander le mouvement de l’écriture.

Écriture coufique dense et resserrée
Écriture coufique dense et resserrée |

© Bibliothèque nationale de France

Horizontalité d’une rare écriture coufique
Horizontalité d’une rare écriture coufique |

© Bibliothèque nationale de France

Vers la fin du 9e siècle, un style dont les prémices remontent à la fin du 8e siècle et dont l’usage, cantonné un temps au domaine des documents administratifs et juridiques, s’est élargi à celui des manuscrits non coraniques, commence à être employé pour copier le Coran. Une apparence plus élancée, une meilleure lisibilité, peut-être aussi une plus grande facilité d’exécution pourraient expliquer son succès au 10e siècle dans la calligraphie coranique. Les Corans sont de plus en plus fréquemment copiés sur des feuillets de format vertical et cessent donc de se distinguer des autres livres. Est-ce l’introduction du papier qui a pesé sur cette évolution et accéléré la disparition des écritures abbassides anciennes ?

Variété d’écriture coufique
Variété d’écriture coufique |

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Écriture coufique tardive, verticale et angulaire
Écriture coufique tardive, verticale et angulaire |

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Le 10e siècle est un moment de rupture. L’unité graphique du monde musulman se fracture avec l’apparition en Occident musulman (Maghreb et Espagne) d’une écriture spécifique, le maghribî. Simultanément, triomphent en Orient des écritures cursives qui traverseront les siècles jusqu’à nos jours.

Les écritures cursives

Le naskhî

Au 10e siècle, l’introduction dans le monde arabe du papier, support moins coûteux et fragile que le papyrus ou le parchemin, permet un grand essor du livre. Les mosquées, madrasas et bibliothèques deviennent les principaux lieux de transmission orale et écrite des textes. Le manuscrit est désormais au centre de la vie intellectuelle arabo-islamique, tant dans son élaboration, sa copie, sa vérification que dans ses commentaires. Pour répondre au besoin de grandissant de copies d’ouvrages religieux, mais aussi scientifiques ou littéraires, une écriture cursive, plus lisible et plus rapide à exécuter, se s’impose peu à peu : c’est le nashkî, écriture à la fois courante et premier des six styles calligraphiques traditionnels. Rapidement, le nashkî devient la graphie la plus répandue de l’Orient musulman.

Variante yéménite de l’écriture orientale courante
Variante yéménite de l’écriture orientale courante |

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Les six styles canoniques

Présente dès les premiers corans, la dimension ornementale de l’écriture conduit à la définition de six styles calligraphiques canoniques : le naskhî, le muhaqqaq, le thuluth, le riqâ’, le rayhânî et le tawqî’.

La légende attribue au vizir Ibn Muqla (885-886 – 940) la codification d’une écriture parfaitement proportionnée. C’est un système de règles qui repose sur le tracé d’un alif autour duquel on construit un cercle servant d’étalon. Chaque lettre est ensuite élaborée à partir de ce cercle. Ibn Muqla aurait également réduit les écritures cursives, toujours plus nombreuses, à six styles principaux. Ses travaux ont été considérablement enrichis par Ibn al-Bawwâb, mort à Bagdad en 1 022. Mais c’est le dernier grand calligraphe de la cour abbasside, Yâqût al-Musta‘simî, mort en 1 298, qui apporte l’ultime perfectionnement de cet art et la théorisation finale des "six styles".

Coran de style tawqî’
Coran de style tawqî’ |

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Coran mamelouk de style muhaqqaq
Coran mamelouk de style muhaqqaq |

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Ces six styles possèdent chacun leurs particularités. Le naskhî, l’un des premiers à se développer, se caractérise par sa lisibilité, son équilibre et sa rapidité d’exécution ; il devient la graphie la plus répandue de l’ensemble du monde arabe, à l’exception du Maghreb et d’al-Andalus, où se différencie une forme spécifique, plus arrondie, le maghribî. Le muhaqqaq apparaît ensuite et connaît une grande faveur pour la copie du Coran, particulièrement sous les Mamelouks : ses faibles courbes sous les lignes lui impriment un élan vers la gauche et beaucoup d’élégance. Le thuluth, version plus large et élaborée du naskhî, a des formes arrondies et un mouvement souple et rythmé qui convient tout particulièrement aux titres. Le rayhânî ressemble aux précédents tout en accentuant certains côtés comme la finesse et l’horizontalité sous la ligne. Le riqâ’ et le tawqî’‘ enfin, proches du thuluth, sont des écritures de documents administratifs peu représentées dans les manuscrits. D’autres graphies s’y rattachent encore, comme le ghubâr, écriture minuscule utilisée pour les corans à usage talismanique.

Exemple rare de style thuluth or cerné de noir
Exemple rare de style thuluth or cerné de noir |

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Recueil de poésie en style rayhânî
Recueil de poésie en style rayhânî |

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Nouvelles calligraphies

Parallèlement au développement des écritures courantes et des six styles canoniques, d’autres graphies cursives, plus élaborées, remplacent le coufique pour la copie des Corans, mais aussi pour celle de tous les ouvrages coûteux. Le coufique est alors uniquement employé de manière ornementale dans les épigraphies ou dans les titres des manuscrits et il devint un élément du décor dont la Thériaque, avec ses lettres anguleuses de couleur alternée, constitue un superbe exemple.

Tableau de plantes médicinales du 12e siècle
Tableau de plantes médicinales du 12e siècle |

© Bibliothèque nationale de France

Après la chute de Bagdad, en 1 258, les Persans cultivent brillamment la calligraphie et rivalisent de virtuosité avec les Mamelouks, dernier bastion en Égypte et en Syrie de la continuité culturelle arabe. Les Ottomans, au pouvoir dès le 16e siècle, placent eux aussi l’écriture au centre de leur création artistique. Turcs et Persans donnent aux six styles une impulsion nouvelle, les développant selon les particularismes de leurs langues, issues de familles linguistiques très différentes. De nouvelles graphies plus adaptées à ces spécificités se créèrent alors, comme le nasta‘lîq ou le ta‘lîq.

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