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La diversité des pratiques de lecture

Muse debout tenant un volumen
Muse debout tenant un volumen

Photo (C) RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Hervé Lewandowski

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Si l’écrit n’existe que par sa matérialité, la lecture s’incarne dans des gestes, des espaces, des habitudes. On ne lit pas de la même manière selon l’époque, le texte, mais aussi l’habileté du lecteur. Les attentes varient sensiblement, et chaque communauté de lecteurs suit, consciemment ou non, des normes et conventions qui définissent des usages légitimes du livre, des façons de lire, des outils, des interprétations.

Bien loin d'être des écrivains, fondateurs d'un lieu propre, héritiers des laboureurs d'antan mais sur le sol du langage, creuseurs de puits et constructeurs de maisons, les lecteurs sont des voyageurs ; ils circulent sur les terres d'autrui, nomades braconnant à travers les champs qu'ils n'ont pas écrits, ravissant les biens d'Égypte pour en jouir. L'écriture accumule, stocke, résiste au temps par l'établissement d'un lieu et multiplie sa production par l'expansionnisme de la reproduction. La lecture ne se garantit pas contre l'usure du temps (on s'oublie et on l'oublie), elle ne conserve pas ou mal son acquis, et chacun des lieux où elle passe est répétition du paradis perdu

Michel de Certeau

Matérialité des textes et contraintes de lecture

Le texte n’existe pas sans son support, que celui-ci soit écrit (livre, journal, écran d’ordinateur…) ou oral (livres audio par exemple). Les auteurs n’écrivent pas des livres, mais des textes qui deviennent des objets – manuscrits, imprimés, informatisés – différemment maniés selon les lecteurs et les circonstances. La forme entretient un lien direct avec la pratique. Au haut Moyen Âge, l’apparition de la séparation entre les mots a permis la naissance d’une lecture silencieuse ; aux 16e et 17e siècles, la généralisation des alinéas, des paragraphes, des pages de titres, des index, de la pagination a rendu le livre plus maniable et plus propre à une lecture discontinue.

Almageste de Ptolémée
Almageste de Ptolémée |

Bibliothèque nationale de France

Cette matérialité implique diverses contraintes. Certaines tiennent à la loi et au droit : censure, autocensure, régime juridique du droit des auteurs et de leurs héritiers sont susceptibles de priver le lecteur de certains textes. Diffusés de manière clandestine, ils n’atteignent qu’un lectorat privilégié ou spécifique ; expurgés, remaniés, amendés par des censeurs ou des exécuteurs testamentaires, ils s’éloignent de la volonté première de leur auteur.

Ces contraintes ne relèvent toutefois pas toujours du droit. Les stratégies éditoriales elles aussi limitent la lecture. Certes, les éditeurs, en inventant des genres (textuels et éditoriaux), en mettant à disposition des imprimés, offrent une palette de lectures potentielles à destination d’un lectorat toujours plus large et diversifié. Toutefois, le lecteur – ou la lectrice – ne peut exercer sa liberté que dans le cadre de ces choix, réalisés selon des critères intellectuels et commerciaux qui ne recoupent pas forcément ses propres intérêts. Le contrôle des lectures en amont par les éditeurs caractérise notamment les sociétés d’Ancien Régime ; le 19e siècle a par la suite vu se diversifier le paysage éditorial, en raison de l’industrialisation de l’imprimerie, de la multiplication des concurrences et de l’apparition de nouveaux publics.

De nouveaux lecteurs produisent de nouveaux textes, dont les nouvelles significations dépendent directement de leurs nouvelles formes

D. F. McKenzie

Les lecteurs face aux livres

Confrontés à ces textes qui leur sont proposés sous des formes diverses, les êtres humains deviennent lecteurs. Ils s’emparent des livres, les parcourent, leur donnent sens, les investissent de leurs attentes. Cette appropriation ne se fait pas en totale liberté. Le texte lui-même déploie des stratégies qui impliquent une interaction spécifique avec la lecture : effets, postures, passages obligés… Le lecteur se doit de tomber, à son insu, dans ces pièges qui orientent sa lecture et répondent à son inventivité.

L’image dicte aussi un certain nombre de codes de lecture. Accompagnant souvent le texte imprimé, elle reformule dans un langage spécifique ce que dit l’écrit, ou au contraire montre, grâce à ses moyens propres, ce que les mots sont impuissants à énoncer. L’illustration devient ainsi le support d’une seconde lecture, détachée de la lettre, qui crée un territoire qui lui est propre.

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