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L'imprimerie dans le monde arabe

1514 : premier imprimé en caractères arabes mobiles
1514 : premier imprimé en caractères arabes mobiles

© Bibliothèque nationale de France

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Contrairement à l’Occident, le manuscrit est longtemps resté le seul support de l’écrit dans le monde arabe. L’imprimerie s'implante tardivement, en raison de difficultés techniques dues au tracé des lettres, mais aussi de facteurs économiques et culturels.

Les entraves à l’implantation de l’imprimerie

Pour des raisons techniques, religieuses, politiques, économiques et culturelles, l’imprimerie à caractères mobiles s’implante très tardivement dans le monde arabo-musulman. Quelques tentatives isolées, plus ou moins réussies et liées à des milieux très précis, ont lieu entre le 16e siècle et la fin du 18e siècle en Europe et au Moyen-Orient. Mais ce n’est qu’au milieu du 19e que l’imprimerie commence réellement à concurrencer la copie manuscrite.

Dès le 16e siècle, les imprimeurs français et italiens ont trouvé des solutions pour restituer typographiquement l’écriture arabe, dont les ligatures et le tracé différent des lettres selon leur position posent de réels problèmes. Les véritables résistances à l’introduction de l’imprimerie sont ailleurs. Raisons économiques d’abord : les copistes constituent une puissante corporation et une source de revenus importante. Raisons culturelles ensuite : le savoir intellectuel et religieux est détenu par les oulemas, partisans de la tradition et hostiles aux réformes. Le système de transmission du savoir obéit à des règles strictes de vérification des textes que bouleverse la standardisation de l’imprimé.

Manuscrits encore copiés au 19e siècle
Manuscrits encore copiés au 19e siècle |

© Bibliothèque nationale de France

Une géographie arabe éditée à Rome
Une géographie arabe éditée à Rome |

Bibliothèque nationale de France

En outre, l’écriture arabe jouit d’un prestige bien plus grand que celle d’un simple instrument de communication : liée dès la révélation coranique à la parole de Dieu, elle est investie d’une forte dimension spirituelle et esthétique. Des facteurs politiques s’ajoutent enfin : les sultans Bayazid II en 1485 et Selim Ier en 1515 interdisent aux musulmans d’imprimer des textes en arabe et en turc dans l’Empire ottoman et ses provinces.

Le rôle des Européens

C’est en Europe que sont réalisées au 16e siècle les premières impressions en caractères arabes avec un double objectif : d’une part permettre aux humanistes d’étudier les textes originaux ; d’autre part établir des relations entre les autorités catholiques et les communautés chrétiennes d’Orient. Le premier ouvrage en caractères arabes est ainsi un livre de prières chrétiennes, édité en Italie à Fano en 1514, suivi en 1516 à Gênes par un psautier multilingue. Les impressions se multiplient à Rome autour de l’Imprimerie médicéenne qui publie des ouvrages religieux et quelques textes profanes. Malgré les importants efforts consentis, ces impressions ne rencontrent que peu d’écho. Leur diffusion dans les pays arabes reste un échec commercial. Elles ont cependant permis aux savants européens de travailler sur les traductions.

Premier imprimé en caractères arabes mobiles
Premier imprimé en caractères arabes mobiles |

Bibliothèque nationale de France

Premières imprimeries en Orient

Dès le 15e siècle, la typographie est apparue dans l’Empire ottoman parmi les communautés juives, grecques et arméniennes. Les premières tentatives d’édition ont lieu vers 1610 en Syrie et au Liban, dans le milieu chrétien. Mais une imprimerie est installée à Alep qu’un siècle plus tard. En quatre-vingts ans, seuls vingt-neuf livres seront imprimés en arabe : livres religieux mais aussi manuels de lecture pour les chrétiens qui peu à peu abandonnent le syriaque pour l’arabe. Les thèmes des livres publiés par les chrétiens changeront au début du 19e siècle, avec l’ouverture d’écoles.

Une histoire de l’Égypte imprimée à Bûlâq
Une histoire de l’Égypte imprimée à Bûlâq |

Bibliothèque nationale de France

Pendant ce temps, la première typographie faite par et pour des musulmans naît à Istanbul au cœur même de l’Empire ottoman. Cette nouveauté voit le jour grâce au mouvement de réforme des institutions politiques, administratives et militaires qui traverse le pouvoir sous le sultanat d’Ahmet III (1673-1736). Le sultan autorise par un décret impérial – entériné par les autorités religieuses conservatrices – l’ouverture d’imprimeries. Mais les livres religieux restent rigoureusement interdits. Entre 1729 et 1742, la presse fait paraître dix-sept livres d’histoire, de géographie, de sciences ou de langue majoritairement en turc. L’imprimerie au service du progrès culturel se heurte encore à l’attachement du public lettré pour le manuscrit et au nombre peu élevé de lecteurs.

Le succès de la lithographie

Parallèlement à ces tentatives se met en place une autre technique d’impression, la lithographie, qui connaît un vif succès durant tout le 19e siècle. Cette technique permet une reproduction fidèle du texte et des formes de la calligraphie arabe. Elle contribue grandement au développement de l’édition imprimée. Ne constituant pas une rupture avec le manuscrit, dont les livres restent très proches d’aspect, la lithographie ne menace pas la corporation des copistes, qui s’adaptent très vite à ce nouveau procédé en transcrivant sur pierre et non plus sur papier. Des styles d’écriture déliés comme le maghribî en Afrique du Nord ou le nasta’lîq en Iran s’y prête d’ailleurs bien. Au début du 20e siècle, la lithographie est encore le principal mode d’impression du Coran.

Ouvrage de grammaire imprimé, imitant les manuscrits ottomans
Ouvrage de grammaire imprimé, imitant les manuscrits ottomans |

Bibliothèque nationale de France

Un coran imprimé imitant les manuscrits
Un coran imprimé imitant les manuscrits |

© Bibliothèque nationale de France

L’implantation progressive de l’imprimerie

À côté des éditions lithographiées se développent peu à peu des imprimeries à caractères mobiles. En 1798, une presse est introduite en Égypte avec l’expédition de Bonaparte, mais cesse son activité avec l’évacuation des troupes françaises. Ouverte au Caire en 1822, l’imprimerie de Bûlâq fonctionne avec une équipe de typographes égyptiens assistés de quelques Européens. Au cœur du mouvement de renaissance culturelle – la nahda – elle va fournir tous les pays arabes en livres pendant des décennies. Fondée pour les besoins de l’armée et de l’administration, elle édite le journal officiel et les textes de lois, mais imprime surtout des traductions en arabe d’ouvrages européens techniques, scientifiques ou linguistiques ainsi que de nombreux ouvrages classiques en arabe, turc et persan. Alternativement aux mains de l’État ou de particuliers, son monopole cesse avec la création d’autres imprimeries au Caire qui devient la capitale du livre arabe. À la fin du 19e siècle, près de dix mille ouvrages ont été publiés.

Le Liban, province ottomane où la communauté chrétienne avait depuis longtemps une forte demande de livres imprimés, devient avec l’Égypte le grand centre d’édition. Le développement de la typographie accompagne les mouvements de renouveau culturel, de modernisation politique, d’ouverture sur l’Occident et d’éveil des indépendances. Dans le même temps, les journaux connaissent un développement spectaculaire. Seuls les pays du Maghreb resteront plus longtemps attachés à la lithographie.

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