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Barbey d’Aurevilly, dandy anticonformiste

Jules Barbey d’Aurevilly
Jules Barbey d’Aurevilly

© GrandPalaisRmn (Château de Versailles) / Franck Raux

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Essentiellement connu, de nos jours, pour ses Diaboliques, œuvre tardive, et son étude sur le dandysme, Barbey d’Aurevilly fut également un poète et un journaliste dont l’œil critique s’exerça aussi bien sur la société mondaine de la capitale que sur celle des villages les plus retirés de la Normandie. Moraliste scandaleux, converti ultramontain, styliste virulent, il apparaît de plus en plus obscur au lectorat déchristianisé du 21e siècle tant son œuvre, antimoderne, puise son inspiration dans une complexe mystique catholique.
 

Émancipation politique

Les adieux
Illustration pour Une vieille maîtresse |

Bibliothèque nationale de France

Jules Amédée Barbey d’Aurevilly naît à Saint-Sauveur-le-Vicomte en 1808, au sein d’une famille monarchiste et catholique. Durant ses études à Valognes puis à Caen, il se tourne cependant, sous l’influence de son oncle Pontas-Duméril, vers les idées républicaines et démocrates. Avec Guillaume-Stanislas Trebutien et son cousin Édélestand du Méril, il fonde la Revue de Caen (1832) puis La Revue critique de la philosophie, des sciences et de la littérature (1834). Il lie également une amitié durable avec Maurice de Guérin, à qui il dédie en 1835 son poème en prose Amaïdé. Son revirement politique le conduit à se brouiller avec sa famille en 1836, ce qui le tient éloigné de la Normandie natale pendant une vingtaine d’années.

Il commence une carrière de journaliste au Nouvelliste en 1838. Un an plus tard, il quitte cependant sa rédaction, avant d’entrer au Globe (1840) puis au Journal des débats (1844-1845). Il fréquente alors le salon catholique et légitimiste de Mme de Maistre, et, dandy lui-même, s’intéresse à la figure de George Brummell (Du dandysme et de George Brummel, 1845). La même année, il commence son grand roman Une vieille maîtresse, qui sera publié six ans plus tard. Celui-ci met en scène la passion inextinguible entre Ryno de Marigny et son ancienne maîtresse, la magnétique señora Vellini, des salons parisiens à la campagne du Cotentin.

Premier vrai succès

La fin des années 1840 est pour Barbey d’Aurevilly le moment d’une crise personnelle profonde. Il achève alors la reconversion spirituelle et politique entamée au sein du salon de Mme de Maistre en fondant, en 1846, la Société catholique, puis, en 1847, l’éphémère Revue du Monde catholique, dont il est rédacteur en chef. Il revient ainsi aux positions politiques et religieuses dans lesquelles il a grandi en se reconnaissant dans l’ultramontanisme et le royalisme.

Un chemin de perdition
Illustration pour L’Ensorcelée |

Bibliothèque nationale de France

C’est en 1852 que l’œuvre de celui qui n’est pas encore surnommé « le connétable des lettres » rencontre véritablement le succès : Barbey est révélé au public par L’Ensorcelée, court roman normand sur fond de chouannerie, d’abord publié en feuilletons dans L’Assemblée nationale, puis édité deux ans plus tard. Il a cependant déjà à son actif plusieurs romans et nouvelles (Léa, 1832 ; L’Amour impossible, 1841 ; La Bague d’Annibal, 1842 ; Le Dessous de cartes d'une partie de whist, 1850 ; Une vieille maîtresse, 1851). Le projet de L’Ensorcelée n’est pas étranger à la conversion de Barbey, qui le conduit à fuir son temps, à chercher son inspiration dans le passé, et s’inscrit dans une série de chroniques normandes. L’écrivain puise dans ses souvenirs, mais aussi dans la mythologie normande, mêlant souvent religion et superstitions. Le succès du roman est décisif : il octroie à Barbey une position confortable dans le champ littéraire, bien que l’écrivain conserve la posture d’un marginal.

Un auteur scandaleux ?

Les Diaboliques
Les Diaboliques |

Bibliothèque nationale de France

D’une manière générale, avec son retour à la pratique religieuse, Barbey compose son œuvre autour d’un projet apologétique assumé et explicite. Cependant, son intérêt pour l’art de peindre les passions entre parfois en conflit avec son image d’écrivain catholique aux yeux de la critique, au point de créer le scandale. Pour Barbey, l’artiste, qu’il soit catholique ou non, peut tout peindre, vice et vertu, sans devoir le condamner, s’il a été vrai dans sa peinture.

L’écrivain divise et crée la polémique par ses romans comme par sa critique. Ses articles en faveur des Fleurs du Mal (1857), contre Les Misérables (1862) ou ses prises de position réactionnaires dans Le Gaulois (1873) y contribuent, tout comme son roman Une vieille maîtresse et, de manière plus évidente, Les Diaboliques. Le recueil, en travail dès 1868 et d’abord intitulé Ricochets de conversation, rassemble des nouvelles dont certaines ont déjà été publiées. Paru en 1874, l’ouvrage connaît un grand succès, mais il est attaqué dans Le Charivari dès sa sortie : Barbey et ses éditeurs sont accusés d’outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. L’intervention de Gambetta sera nécessaire pour obtenir un non-lieu, prononcé au début de l’année 1875.

Une esthétique fin de siècle

Barbey d’Aurevilly
Barbey d’Aurevilly |

Bibliothèque nationale de France

Les nouvelles et romans de Barbey d’Aurevilly donnent à voir la passion amoureuse dans ce qu’elle a de plus destructeur et mettent en scène des femmes tentatrices. Échos lointains de la vogue des histoires tragiques, ils sont marqués par l’idéalisme noir, le manichéisme et le goût de l’absolu. Ils expriment également une profonde haine du progrès et s’inscrivent dans la réaction fin de siècle au positivisme et au recul de la religion. L’œuvre de Barbey d’Aurevilly témoigne plus généralement d’une nostalgie monarchiste, d’un fort attachement à la noblesse et du refus absolu d’être moderne. Les romans de la chouannerie (L’Ensorcelée, Le Chevalier Des Touches, 1864) et Un prêtre marié (1865) disent ainsi la nostalgie d’un temps pré-révolutionnaire.

Longtemps ignoré par son siècle, mis à mal tant par la critique catholique que par les réalistes, Barbey d’Aurevilly a cependant connu de son vivant quelques grands admirateurs comme Charles-Augustin Sainte-Beuve, Jules Janin, Théophile Gautier et Charles Baudelaire. Il suscite par ailleurs crainte et vénération par sa plume critique acérée. Réunis dès 1860 en volumes sous le titre Les Œuvres et les Hommes, ses articles offrent au lecteur une traversée magistrale du 19e siècle.

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