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Colette journaliste

Marie Claire numéro 100 fait par Colette
Marie Claire numéro 100 fait par Colette

Bibliothèque nationale de France

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Pendant plus de quarante ans, Colette s’est astreinte aux contraintes du journalisme. Elle a travaillé pour Le Matin, Le Figaro, Paris Soir, Marie Claire, Le Petit Parisien et bien d’autres titres, forgeant une œuvre journalistique hybride, oscillant entre reportage, chronique et fiction. Donner la priorité à la chose vue, proposer une sorte de lyrisme du quotidien sont autant d’apprentissages que Colette aura tirés de son expérience de la presse.

Une carrière longue de journaliste

Colette a écrit quasiment continument pour la presse dès 1893 et jusqu’aux années 1940. Elle s’inscrit dans la tradition des écrivains du 19e siècle tels qu’Honoré de Balzac, George Sand ou Émile Zola qui ont eu également une activité de journaliste en parallèle à l’élaboration de leur œuvre littéraire. Entraînée par son premier mari Willy dans les rédactions des journaux, où ses longues nattes, ses talents de causeuse et son accent bourguignon ont un gros succès, elle fait paraître très tôt des articles dans Le Mercure de France, La Cocarde, La Vie Parisienne, Akademos (première revue homosexuelle française) ou Gil Blas.

Mais c’est surtout à partir de 1910, avec sa collaboration au Matin, l’un des plus grands quotidiens de l’époque, que sa carrière journalistique prend de l’ampleur. Elle y publie d’abord des notes de tournée, des portraits d’animaux ou des contes. Elle en devient rapidement une collaboratrice régulière et, à partir de 1919, est nommée directrice littéraire de la rubrique des « Contes des mille et un matins », pour laquelle elle sollicite des écrivains comme Georges Simenon, Roland Dorgelès ou Marcel Proust. Elle quitte Le Matin en 1924, année de sa séparation avec son deuxième mari, Henri de Jouvenel, rédacteur en chef du journal. Elle collabore ensuite à de nombreux titres : Le Figaro, Vogue, La République, Paris-Soir, Marie-Claire ou Le Petit Parisien.  

« Progéniture », un article de Colette pour Le Figaro
« Progéniture », un article de Colette pour Le Figaro |

Bibliothèque nationale de France

Polyvalente, elle aborde tous les genres, de la chronique culinaire au reportage, du courrier du cœur à la critique, de la chronique sportive au reportage judiciaire. Après les comptes rendus musicaux de La Cocarde, elle a été l’une des premières critiques cinématographiques dans Le Film. Elle a assuré la fonction de critique théâtrale au Journal de 1933 à 1938. Elle a couvert des grands procès comme ceux de Landru en 1921, Violette Nozières en 1934 ou Mouley Hassen à Fès en 1938.

Vis-à-vis de son œuvre journalistique, à l’instar de beaucoup d’écrivains, Colette fait preuve d’ambivalence. Elle a affirmé qu’elle cédait à la pression financière lorsqu’elle était journaliste, mais à plusieurs reprises aussi, elle a dépeint le plaisir que constituait le défi de l’écriture quotidienne. Elle n’hésitait pas d’ailleurs à recueillir ses articles en volumes : Les Heures longues (1917), Dans la foule (1918), Aventures quotidiennes (1924), Prisons et paradis (1932), La Jumelle noire (1938), Journal à rebours (1941) ou encore Paris de ma fenêtre (1944). Après la Seconde guerre mondiale, elle se retire peu à peu de la presse, laissant derrière elle une œuvre journalistique riche d’au moins 1260 articles, dont un certain nombre n’ont pas encore été réédités aujourd’hui.

Du reportage à la chronique

Colette appartient à cette génération de femmes audacieuses qui, à l’image de Séverine, ont investi le reportage alors majoritairement masculin. Dans les années 1910, elle prend deux fois le ballon pour Le Matin, voyage jusqu’en Italie pendant la guerre pour une interview du prince de Hohenzollern décrochant la une du Matin en juillet 1915 et monte dans un train en marche pour rencontrer la reine de Roumanie et obtenir un scoop en 1919.

Son approche du reportage est sensorielle : elle voit, touche, ressent. « Il faut voir et non inventer », « palper et non imaginer », écrit-elle. Elle est capable de transformer l’événement en matière sensible. Elle documente aussi les métiers féminins depuis l’intérieur, à travers des chroniques sociales qui relèvent autant du reportage que du récit. Ses observations sur les artistes de music-hall, les caissières de théâtre ou les contorsionnistes constituent une archive précieuse du travail féminin de son époque.

Mais si elle excelle dans le reportage, Colette s’en détourne progressivement, préférant la forme plus souple et plus littéraire de la chronique. Dès les années 1920, elle fait de la chronique féminine, mondaine, gastronomique ou vestimentaire son territoire d’expression. Ses rubriques dans Vogue, ses chroniques pour Le Figaro intitulées « L’opinion d’une femme » ou ses textes pour Marie-Claire en sont des exemples emblématiques. La chronique permet à Colette d’alterner légèreté, ironie mordante, tendresse et profondeur. Elle y assume des positions souvent paradoxales et globalement conservatrices : celle d’une femme moderne qui se moque des suffragettes, d’une ancienne artiste spécialisée dans la pantomime qui ridiculise la culture physique, d’une pionnière du droit à disposer de son corps qui défend les corsets et la féminité classique.

Une aventurière du quotidien

Loin du journalisme d’investigation, Colette s’invente une posture singulière : celle d’une aventurière immobile, explorant non les confins du monde, non l’actualité politique mais les replis du quotidien.

Le lieu qu’elle préfère ? Une fenêtre. Ce poste d’observation devient central dans sa pratique. En 1909 déjà, dans Akademos, elle observe le monde depuis un wagon. En 1940, atteinte d’arthrose, elle ne peut plus quitter son appartement du Palais-Royal : elle en fait un laboratoire d’observation depuis lequel elle livre ses dernières chroniques, réunies dans Paris de ma fenêtre. Elle contemple les saisons, les rythmes sociaux, la lumière sur les feuillages, les habitudes d’un chat. Cette immobilité devient féconde, et l’écriture, un exercice de perception totale, mêlant sons, odeurs, souvenirs et sensations.

Colette revendique une poétique du détail mariée à de l’observation générale floue, qu’elle attribue malicieusement à sa myopie. Elle capte l’instant, avec un style qui mêle lyrisme, réalisme et humour. Elle écrit dans Le Fanal bleu : « Ma poésie est à ras de terre. […] C’est l’ordinaire qui me pique et me vivifie. » Cette pratique de l’écriture quotidienne, centrée sur des événements mineurs ou répétitifs, anticipe des formes d’écriture contemporaine qui s’intéressent au banal et à l’« infra-ordinaire ». Elle reflète aussi une manière de vivre l’actualité sans en rechercher l’exceptionnel, mais en en explorant les effets les plus concrets et les plus immédiats.

Du journal à l’œuvre

« Tu prends un engagement bien lourd envers Le Matin. C’est la fin de tes œuvres littéraires, tes romans. Rien n’use les écrivains comme le journalisme » avait écrit la mère de Colette à sa fille en 1910. Cet avertissement de Sido ne s’est pas vérifié. Loin d’être une machine à broyer, la presse a constitué, au contraire, une matrice pour l’ensemble de l’œuvre. Le type romanesque de Chéri, ce jeune homme oisif amant d’une maîtresse plus âgée, est esquissé dans quelques contes donnés au Matin avant d’aboutir à deux romans Chéri (1920) et La Fin de Chéri (1926). De nombreux textes majeurs, comme La Maison de Claudine ou Le Pur et L’Impur, sont parus d’abord dans la presse et lui doivent leur formatage, le continuum entre choses vues, souvenir, autofiction et roman et ce lyrisme du quotidien qui font en grande partie le style de Colette.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Les Mondes de Colette, présentée à la BnF du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026.

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