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Le combat des Provinciales

Lettre escritte à un provincial par un de ses amis. Sur le sujet des disputes presentes de la Sorbonne. De Paris ce 23. Janvier 1656…
Lettre escritte à un provincial par un de ses amis. Sur le sujet des disputes presentes de la Sorbonne. De Paris ce 23. Janvier 1656…

Bibliothèque nationale de France

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Les Provinciales, rédigées par Pascal en 1656-157, est une oeuvre polémique : il s'agit de défendre les jansénistes dans la querelle qui les oppose aux jésuites, notamment autour de la question de la grâce. Ce problème central est abordé dans certaines lettres mais plus généralement, Pascal attaque avec une ironie cinglante ce qui constitue selon lui le relâchement de la pratique jésuite.

Des lettres à la grande variété de ton

Parues d’abord sous forme de petits pamphlets séparés, les dix-huit Provinciales ont été mises en circulation une à une, anonymement et clandestinement, de janvier 1656 à mai 1657. L’ensemble est ensuite recueilli en un volume publié sous le pseudonyme de Louis de Montalte. En l'espace de quelques années paraissent d'autres éditions, ainsi que des traductions, en latin, en italien, en anglais. Adressées – du moins pour les dix premières – à un provincial fictif, ces lettres adoptent une grande variété de tons, de l'ironie à l'invective, pour traiter des conflits du moment entre Port-Royal et ses adversaires, principalement jésuites, comme des problèmes généraux de la grâce et de la morale chrétienne. Ouvrage le plus lu à son époque, Les Provinciales ont contribué à imposer un art d'écrire classique, dont la sobriété fait l'efficacité.

Jésuites et jansénistes : deux conceptions de la grâce

« La volonté humaine n’atteint pas la grâce par la liberté, mais plutôt la liberté par la grâce », déclarait saint Augustin au début du Ve siècle dans La Correction et la Grâce. De même, dans le traité Du libre arbitre : « Notre liberté consiste en ce que nous soyons soumis à la vérité. » Après la corruption de sa nature par le péché originel, l’homme peut-il encore incliner librement sa volonté au bien et la tourner vers son créateur, ou, captif du mal qui l’enferme dans l’amour de soi et la concupiscence, ne le peut-il plus, comme le pensait saint Augustin, que mu par la grâce de Dieu ? Sa liberté n’a-t-elle dès lors d’autre exercice que d’acquiescer à cette motion divine – se décider à être décidé ? Questions cruciales, car il en va de la conduite que l’homme doit tenir pour son salut éternel : « L’immortalité de l’âme est une chose qui nous importe si fort, qui nous touche si profondément, qu’il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l’indifférence de savoir ce qui en est », écrira Pascal dans les Pensées.

Vous n'échapperez pas par ces fuites ; vous sentirez la force de la vérité que je vous oppose.

Blaise Pascal, Les Provinciales , 1656.

À ce débat lancinant de la liberté humaine et de la grâce divine, si ancien et capital qu’il se confondait presque avec l’histoire de l’Église, l’humanisme de la Renaissance et la Réforme avaient donné une nouvelle actualité, dont témoignent exemplairement le livre Du libre arbitre d’Érasme en 1524 et la réplique que lui opposa Luther en 1526 par son Serf arbitre. Le concile de Trente (1545-1563) y accorda une attention particulière en condamnant la radicalité des positions protestantes, sans néanmoins mettre un terme aux débats internes à l’Église catholique : en 1640, la parution de l’Augustinus du théologien flamand Jansénius les rouvrit avec plus de virulence que jamais.

C’est de cette question doctrinale qui engage toute l’existence du chrétien, question théologique de ce qu’il doit croire et question morale de ce qu’il doit faire, que se saisit Pascal en 1656 en entreprenant la rédaction des Provinciales : œuvre de combat où le maître de la démonstration scientifique se mue en maître de la persuasion rhétorique, dans un admirable usage de la raison tourné tout entier vers l’appel à sa soumission. Car, dira dans les Pensées l’un des fragments de la liasse « Soumission et usage de la raison », « la conduite de Dieu est de mettre la religion dans l’esprit par les raisons et dans le cœur par la grâce ».

Provenance

Cet article provient du site Les Essentiels de la littérature (2015)

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