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Claudine à l'école

Premier roman d'une série à succès
Claudine à l'école
Claudine à l'école

Bibliothèque nationale de France

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Claudine à l’école est le premier roman écrit par Colette, même s’il est publié en 1900 sous le nom de Willy. L’héroïne de ce roman aux accents autobiographiques est une écolière de quinze ans, Claudine, qui vit à Montigny. Le succès de ce roman conduit Colette à en écrire une série de quatre volumes, qui permet aux lecteurs de suivre la jeune fille au franc parler et au caractère effronté jusqu’à l’âge adulte.

Claudine, un « type » de jeune fille audacieuse

Dans Mes Apprentissages, Colette revient sur ses premiers romans et évoque une discussion avec l’écrivain Catulle Mendès qui l’interrogeait : « C’est vous, n’est-ce pas, l’auteur des Claudine… […]. Dans vingt ans, trente ans, cela se saura. Alors vous verrez ce que c’est, en littérature, d’avoir créé un type. » Ces paroles rappellent que l’auteure des Claudine est d’abord restée cachée. C’est Henry Gauthier-Villars, alias Willy, habitué à endosser la paternité de textes écrits par d’autres, qui demande à sa femme d’écrire un texte inspiré de son enfance bourguignonne. Un premier manuscrit de 695 pages reste un temps au fond d’un tiroir mais une fois repris est publié en 1900, Claudine à l’école rencontre un vif succès. Si Willy est le commanditaire et le premier lecteur et correcteur de ce texte, c’est, de son propre aveu, Colette qui l’écrit, y compris les passages saphiques qui s’y trouvent. Lors d’un entretien radiophonique avec André Parinaud qui pense en 1950 que seul un garçon peut écrire ces pages de « sentimentalité sensuelle », Colette répond : « Et pourquoi est-ce qu’une fille même si jeune serait complètement dépourvue des sentiments d’un garçon du même âge ? Il n’y a pas de raison pour ça. ».

Dans ce premier roman, Colette raconte la dernière année d’école de Claudine, héroïne de quinze ans caractérisée par une liberté de pensée et de ton frappante. Que le lecteur la trouve attachante ou impertinente, selon les mots de Michèle Blin, la jeune fille « règne en leader absolu sur un empire incontesté », l’école de Montigny où elle s’apprête à passer son brevet élémentaire.

Elle est entourée de camarades sur lesquelles elle pose un regard distancié. Claire est sa « sœur de lait, une fillette douce, avec de beaux yeux tendres et une petite âme romanesque, qui a passé son temps d’école à s’amouracher » ; la grande Anaïs lui semble dotée d’une « mémoire prodigieuse » et d’une « véritable science du comique » : « menteuse, filouteuse, flagorneuse, traitresse, elle saura se tirer d’affaire dans la vie » ; les deux jumelles Jaubert sont « bonnes élèves, ah ! bonnes élèves » à tel point que Claudine les « écorcherai[t] volontiers, tant elles [l]’agacent avec leur sagesse » et Marie Belhomme est décrite comme « bébête, mais si gaie ! raisonnable et sensée ». La jeune Luce que Claudine se délecte de battre « comme plâtre » complète ce tableau, elle est la sœur de l’institutrice Aimée Lanthenay que Claudine rêve de séduire.

Par son ton piquant, ses attitudes que Rachilde qualifiait de « voyou », Claudine incarne bien un type, celui de l’adolescente rebelle, « la mauvaise tête de la classe » qui, selon les mots de Colette, cherche à se faire « remarquer et un peu applaudir de ses camarades » et qui, aujourd’hui encore, nous surprend par son franc-parler et le regard moqueur qu’elle jette sur ses contemporains : on est loin de la jeune fille soumise, cherchant à se conformer au rôle traditionnellement réservé aux femmes.

Une autobiographie partielle ?

« Je m’appelle Claudine, j’habite Montigny ; j’y suis née en 1884 ; probablement je n’y mourrai pas. » Si Claudine n’est pas Colette, les points communs entre les deux femmes se multiplient au fil des volumes et Colette s’en amuse dans l’entretien avec André Parinaud : « C’est moi et ce n’est pas moi... ça a peut-être été un petit moi d’autrefois. » Si Claudine ne vit qu’avec son père, elle est fantasque comme Sido. Colette et Claudine se qualifient toutes deux de sauvageonnes, aspirant à quitter leur village bien qu’elles en aiment les « chers bois » si souvent battus lors de « vagabondages éperdus ». 

Affiche pour Claudine à Paris
Affiche pour Claudine à Paris |

Bibliothèque nationale de France

La chatte Fanchette, confidente de Claudine, fait penser à Nonoche qui a accompagné Gabrielle Colette, et lorsque Claudine se marie à Renaud dans Claudine à Paris (1902), elle s’installe rue Jacob, qui est l’adresse où résident Colette et Willy : les lecteurs initiés du Tout-Paris ne manquent pas de le savoir.

Dans Claudine en ménage (1902), le troisième volume des Claudine, l’héroïne a une liaison avec une femme, Rézi, qui convole ensuite avec Renaud : cette situation rappelle aux lecteurs bien informés le ménage à trois formé un temps par Willy, Colette et Georgie Raoul Duval. Claudine s’en va, quatrième et dernier volume des Claudine, n’est pas sans évoquer l’éloignement du couple Gauthier-Villars pour le petit monde parisien qui imagine un Claudine divorce lorsque les époux se brouillent définitivement, parce que Willy a vendu les droits des Claudine sans y mêler Colette.

Une attaque de l’école et du monde des adultes

Si Claudine rencontre tant de succès, c’est notamment grâce au franc parler de la jeune narratrice, qui ne mâche pas ses mots. Orpheline de mère, fille unique d’un bibliophile épris de science, elle appartient à une bourgeoisie déclassée. L’école rurale qu’elle fréquente, « la laïque », est celle que fréquentent depuis peu les filles les plus pauvres. Elle parle des autres écolières en termes peu amènes :

 Je n’ai jamais eu de camarades de mon espèce, car les rares familles bourgeoises de Montigny envoient, par genre, leurs enfants en pension au chef-lieu, de sorte que l’école ne compte guère pour élèves que des filles d’épiciers, de cultivateurs, de gendarmes et d’ouvriers surtout ; tout ça assez mal lavé.

Claudine à l'école, Colette, 1900

Les adultes en charge de leur éducation sont également critiqués. Les relations scabreuses de la directrice d’école avec son adjointe de dix-neuf ans laissent penser que l’école dysfonctionne. La critique vise plus largement le monde adulte, puisque Claudine reproduit et commente les paroles doucereuses que susurre le délégué cantonal et docteur, M. Dutertre, qui presse les tailles des jeunes élèves en leur posant des questions indiscrètes. Les prêtres qui apparaissent dans Claudine à l’école sont à peine plus rassurants. Fille pauvre de province, Claudine comme Colette ne poursuit pas ses études au-delà du brevet élémentaire, l’équivalent du brevet. Sans dot, elle n’a, comme Gabrielle Colette, aucune autre perspective que celle du mariage. De toutes les camarades d’école de Claudine, seule Luce parvient à mener une vie fastueuse à Paris, les autres restent au village.

La série des Claudine trace donc la trajectoire à la fois unique et partagée d’une jeune femme bataillant pour s’extraire du milieu où la mauvaise fortune l’a poussée, ce qui explique aussi le grand succès de ces quatre volumes.

Provenance

Cet article a été conçu dans le cadre de l'exposition Les Mondes de Colette, présentée à la BnF du 23 septembre 2025 au 18 janvier 2026.

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